Loin des caméras et de la torpeur de l’été, les équipages des bombardiers d’eau de la Sécurité civile s’entraînent toute l’année dans le Sud de la France pour être opérationnels et mieux combattre les incendies, en toute sécurité.
Ce matin, le lac de Sainte-Croix (Var) semble si paisible. Pas un seul pédalo à l’horizon, ni l’ombre d’un pêcheur. Comme si place nette avait été faite pour accueillir la noria des quatre Canadair de la Sécurité civile en vol d’entrainement, par cette belle matinée de printemps où le mercure se croit en été. Avec ses 22 km2 de superficie, ce lac artificiel est devenu un passage obligé pour ces pélicans d’acier venus se ravitailler.
Le temps de compter jusqu’à dix, ils remplissent leurs réservoirs et s’alourdissent de 6 tonnes d’eau. « Pendant cette phase particulièrement délicate, l’avion prend un quart de son poids. Il devient alors vulnérable, d’autant plus qu’il nous faut composer avec le vent et la houle », explique Jean-Louis Girardet, pilote et instructeur à la Sécurité civile depuis 20 ans. « Dans ce laps de temps, nous cumulons tous les inconvénients d’un bateau lancé à grande vitesse avec ceux d’un avion évoluant à trop faible vitesse ». De l’avis unanime des équipages, il faut entre trois et cinq ans à un pilote pour maîtriser l’art de l’écopage. Une gageure quand on sait que la majorité du personnel navigant a fait partie des unités d’élite de l’armée dans une première vie, avant de rejoindre la Sécurité civile plutôt que d’embrasser une carrière de pilote de ligne. Implantée à Marignane depuis un demi-siècle, la prestigieuse flotte des bombardiers d’eau ne chôme pas l’hiver, contrairement à une légende tenace qui fait passer le métier de pilote pour une activité estivale. « Pour rester opérationnel, nous devons effectuer un nombre d’heures minimum, une soixantaine environ. Des vols impératifs et réglementaires ». Ces phases de qualification et d’entrainement sont fondamentales. Elles conditionnent en partie la réussite d’une saison feu. « C’est la garantie de ne pas se laisser surprendre quand vient l’été », raconte Daniel Manzo, le chef du secteur Canadair. « Mon travail, c’est d’emmener tout le monde à un bon niveau d’entrainement pour la saison feu car il ne faut pas oublier que le travail c’est le feu. Vous savez, il y a des incendies presque toute l’année même si la presse en parle moins ». Avant Noël, les équipages en profitent aussi pour prendre des vacances méritées après un été sur le pont, sans weekend, ni jours féries. Quant aux avions, ils partent en révision les uns après les autres pendant deux à trois mois. Toujours prêts même en plein hiver, les équipages de la Sécurité civile vont parfois prêter main forte à l’étranger comme ce fut le cas en Israël, en décembre 2011. « A partir de janvier, nous montons doucement en puissance chaque mois, et au printemps, nous basculons sur de l’opérationnel tout en poursuivant, en parallèle, les vols de maintenance et les vols techniques de jour et de nuit jusqu’en juin, où nous passons en alerte permanente ».
À la base d’avions de Marignane, chaque pilote a un emploi du temps sur-mesure et les équipages ne sont jamais les mêmes, pour éviter la routine et les mauvaises habitudes. Répartis par secteur en fonction de l’avion qu’ils pilotent, les personnels navigants pratiquent une forme d’autogestion assez originale pour une administration. « Par groupes de travail, nous nous répartissons un certain nombre de tâches annexes au vol. Chacun prend sa part du travail quand il s’agit, par exemple, de mettre à jour les cartes des plans d’eau, d’organiser les plannings des équipages et d’assurer la formation des nouveaux pilotes. Et puis, il ne faut pas oublier que les équipages de Beech et de Dash transportent des personnels du ministère de l’Intérieur et des matériels de secours toute l’année en fonction de l’actualité opérationnelle ». A l’instar des athlètes qui préparent les Jeux olympiques, le travail des équipages de la Sécurité civile demeure invisible, sauf l’été. C’est à ce prix pourtant, qu’ils participent à la sauvegarde du poumon vert de la France.
Joachim Bertrand
En chiffres
La flotte de la Sécurité civile compte 26 avions bombardiers d'eau : 12 Canadair CL 415, 9 Tracker S2FT, 2 DASH et 3 avions de liaisons et de commandement KING 200. Elle est armée par 77 pilotes dont 46 de Canadair.
En 2013, les équipages de la Sécurité civiles ont effectué 5 276 heures de vol, dont 52 % en entraînement, et 3 860 largages.