Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon sont respectivement directrice et membre du conseil scientifique du musée du Général-Leclerc-de-Hauteclocque-et-de-la-Libération-de-Paris–musée Jean-Moulin. Toutes les deux sont les auteures de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale et de « Jean Moulin : artiste, préfet, résistant, 1899-1943 ».
Civique : Comment expliquer la puissance symbolique de Jean Moulin ?
Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon : La puissance symbolique de Jean Moulin, figure de la Résistance et de l’histoire nationale, est triple. Il est le symbole de l’esprit patriotique, composante majeure de la Résistance, le symbole de la République et de l’État républicain, et enfin le symbole de l’action du général de Gaulle.
Au départ, devant une situation d’écrasement, il y a un choix, le choix de la négation et du refus, celui de dire non. C’est un choix personnel : le choix de résister. C’est un choix de conviction, une conviction ancrée au plus profond de sa conscience et qui repose sur l’indignation, la colère, le respect de valeurs. La volonté de résister est assimilée à un impératif. Un combat contre le pouvoir considéré comme injuste. Il exclut tout compromis, toute compromission. Il exige une responsabilité de ses actes de rébellion et résistance.
Civique : Comment dégager alors son futur rôle historique ?
Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon : Le milieu familial et ses relations expliquent en partie les traits majeurs qui se dégagent chez lui, à savoir le républicain, homme de gauche et patriote. Élève peu assidu, il est davantage passionné par le dessin que les études. Ayant reçu une éducation religieuse, il se montre distant à l’égard de la religion mais assume ses devoirs à l’égard des hommes d’Église dans le cadre de ses fonctions.
Il est né dans une famille républicaine installée à Béziers, et hérite donc de ce modèle républicain. Un héritage transmis par son père, enseignant et élu local, qui comprend à la fois de l’humanisme, une sensibilité sociale réformatrice et un patriotisme excluant le nationalisme.
Jean Moulin manifeste publiquement son patriotisme dès l’entrée en guerre contre l’Allemagne. Il souhaite être mobilisé, au contraire de nombreux autres qui préfèrent conserver leurs postes dans les ministères. Il le prouve en tentant de se suicider dans la nuit du 17 juin 1940 par refus de signer, sous les coups des Allemands, un texte imputant à tort aux troupes africaines de l’armée française des crimes contre les civils. Il demeure à son poste pour protéger les populations des exactions de l’Occupant.
Civique : Un rôle historique qui découle aussi de sa carrière de fonctionnaire de la République ?
Christine Levisse-Touzé et Dominique Veillon : En effet, ses années de service dans la préfectorale ont développé chez lui la passion du service de l’État doublée d’un fort patriotisme et d’un idéal républicain. Il connaît le fonctionnement, les mécanismes, les difficultés du service public. Il en résulte une priorité absolue accordée au devoir de l’État et un sens aigu des responsabilités.
Entré comme attaché de cabinet du préfet, il a été promu sous-préfet puis préfet. Si la faveur des politiques est nécessaire à une grande carrière administrative, elle n’est pas suffisante. Le talent, le sérieux, le sens des relations humaines sont indispensables. Moulin n’hésite pas à manifester son engagement politique à ses différents postes. Son premier acte de résistance est bien le 17 juin, au nom de la dignité humaine. Tout y est de sa conscience et de son sens du devoir. Préfet d’un département occupé sous Vichy, il n’a de cesse de s’opposer aux exactions des Allemands et regimbe à appliquer les mesures du nouveau régime, ce qui lui vaut d’être mis à la retraite le 2 novembre 1940.