Une étude sur le trafic d'armes dans les Balkans occidentaux a été menée par le Pôle interministériel contre la criminalité organisée en Europe du Sud-Est et par l'attaché de sécurité intérieure pour la zone des Balkans occidentaux. Ce trafic de "fourmis" représente une part essentielle des armes de guerre circulant en France.
A la fin des années 1990, les guerres d'indépendance en ex-Yougoslavie prennent fin. Cette période coïncide avec l'apparition d'armes de guerre en France, provenant majoritairement de nombreux pillages de dépôts d'équipements des forces militaires ou de sécurité des pays des Balkans. On estimait ainsi, au début des années 2000, entre 330 000 et 460 000 le nombre d'armes détenues illégalement au Kosovo (pour une population de 1,5 à 2 millions d'habitants), de 350 000 à 750 000 le nombre d'armes légères en circulation en Macédoine en 2004 (pour 2 millions d'habitants) ou encore à 3 millions le nombre d'armes en circulation en Serbie.
En France, l'émergence d'un phénomène criminel, les attaques de fourgons blindés, trouve son apogée avec l'apparition des armes de l'ex-Yougoslavie sur notre territoire. Pour Michel Felkay, contrôleur général, attaché de sécurité intérieure pour la zone des Balkans occidentaux et coauteur d'une étude sur le sujet, "l'emploi de telles armes par les "durs" du milieu a engendré un phénomène de mimétisme dans les cités sensibles. Dans ces quartiers, la possession d'une kalachnikov, en particulier, a commencé à être considérée comme un moyen privilégié d'assurer le contrôle du territoire et d'intimider les rivaux, tout autant que la marque d'un statut".
Ce type d'arme est régulièrement saisi par les forces de l'ordre françaises : 30 en 2010, 64 en 2011. En 2012, sur une seule affaire, des dizaines d'armes ont été saisies. "Bien que ces chiffres soient relativement faibles, ce trafic existe, est bien réel, confirme Franck Douchy, commissaire divisionnaire, chef de l'office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Il n'a pas la densité ni l'importance du trafic de stupéfiants, mais - l'actualité nous le montre tous les jours - une véritable demande, croissante, existe en France." Au sein de l'OCLCO, la section centrale des armes, explosifs et munitions sensibles (SCAEMS) coordonne l'action des services répressifs en France pour lutter contre ce genre de trafic. Il représente le point de contact national en la matière en centralisant toute information relative à des saisies d'armes. Une équipe opérationnelle composée de huit enquêteurs agit également au sein de l'office pour mettre au jour des affaires de trafic d'armes au sens plein et entier du terme.
"Notre but est de cibler ces filières spécifiques, comme cette qui relie la France aux Balkans, continue Franck Douchy. Nous nous attachons à démanteler des filières le plus en amont possible des trafiquants de stupéfiants et des braqueurs. L'offre existe avec ces importants stocks d'armes, tout comme la demande avec les malfaiteurs, les trafiquants de drogues et les braqueurs sur notre territoire." Reste à identifier le vecteur, le lien entre l'offre et la demande. "Dans la majorité des cas, ce sont des membres de l'ex-Yougoslavie implantés en France qui font ce lien et la connexion entre des connaissances locales au départ de la chaîne du trafic et des malfaiteurs en France. Or ces trafiquants vivent principalement dans les cités de nos grandes villes et sont les plus à même d'entrer en relation directe avec les personnes à l'origine de la demande dans ces cités."
L'OCLCO estime que l'essentiel des armes de type kalachnikov importées en France provient des Balkans par deux routes identifiées : le sud de l'Europe via l'Italie et le sud ou le nord de la France via la Slovénie, l'Autriche et l'est de la France. Ce trafic génère des profits certains avec un rapport allant de cinq à huit entre l'achat de l'arme à Sarajevo par exemple et sa revente dans les cités françaises. Généralement, les quantités transportées le sont par voie terrestre et demeurent modestes, entre cinq et vingt pièces en moyenne par "livraison". Cet approvisionnement d'armes à flux tendu, appelé "trafic de fourmis", s'effectue généralement sous forme démontée pour une dissimulation plus facile, ou sous forme entière, dissimulée dans un fret légal.
En 2010, l'Union européenne a lancé un plan d'action contre les armes dites "lourdes", qui envisage des opérations de récupération d'armes dans les pays de la zone des Balkans. "À un niveau stratégique, il est clair que l'Union européenne constitue un cadre privilégié pour aborder cette problématique avec des partenaires balkaniques en voie de rapprochement européen, soutient Michel Felkay. Pour la Croatie en tant que futur 28e État membre de l'Union, la Serbie, le Monténégro et la Macédoine, dans leur qualité de pays candidats, la Bosnie, l'Albanie et le Kosovo, pays à perspective européenne, l'intégration représente le principal levier pour poursuivre et accélérer les réformes encore attendues, notamment en matière de répression du crime et d'administration de la justice."