Si le grand banditisme, le terrorisme ou le trafic de stupéfiants constituent des cibles de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière, c'est au versant financier de cette criminalité que cette structure de la direction centrale de la police judiciaire est chargée de s'attaquer.
Soixante-quinze fonctionnaires de police et six sous-officiers ou officiers de la gendarmerie officient au sein de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) dirigé par Jean-Marc Souvira. Tous tendus vers un objectif protéiforme : la lutte contre « l'ensemble des infractions à caractère économique et financier liés à la criminalité organisée, et plus particulièrement celles en relation avec le grand banditisme, le terrorisme et le trafic des stupéfiants ».
La mondialisation, l'ouverture des frontières et le développement d'Internet ont profondément changé le visage de la criminalité organisée et impacté le travail de l'office, créé au départ pour lutter contre le blanchiment d'argent. « Les évolutions législatives ont également permis à l'office d'élargir son champ thématique, tout en lui offrant de nouveaux moyens d'action. La loi du 13 mai 1996 crée un délit général de blanchiment du produit de tous les crimes et délits, celle du 9 mars 2004, dite loi Perben 2, porte adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. »
Conséquence de cette évolution, l'office s'est doté au fil du temps de structures spécialisées, comme la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC) ou la brigade de recherches et d'investigations financières nationale (BRIFN).
Outil indispensable, la BRIFN apporte un soutien opérationnel aux services d'enquêtes spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée dans le domaine économique et financier. « Nous sommes le seul service français dit financier à disposer d'une telle unité, souligne Jean-Marc Souvira. Ce sont douze policiers formés aux techniques de surveillance, d'interpellation et capables de mener un assaut pour appréhender un individu ou une bande potentiellement dangereux. »
L'existence d'une telle brigade au sein de l'OCRGDF souligne bien, selon Jean-Marc Souvira, la réalité du travail de l'office. « De nombreuses personnes, même au sein de la police, ont une vision erronée et dépassée de notre travail. L'usage, il y a encore quelques années, voulait qu'on fasse appel aux services spécialisés dans la délinquance financière, une fois l'enquête principale bouclée. Cette approche est totalement inadaptée en matière de lutte contre la criminalité au XXIe siècle. » Une conception obsolète qui, selon Jean-Marc Souvira, repose sur deux clichés : « la criminalité financière est une criminalité en col blanc, et l'objectif de l'office est de frapper au portefeuille », le premier renvoyant à une vision erronée de la délinquance financière, le second ne rendant pas compte de l'ampleur du champ d'action de ces policiers spécialisés. « Les délinquants et les trafiquants ont largement profité des opportunités liées à la mondialisation, la création de la monnaie unique et la libre circulation des biens. Ils n'ont jamais gagné autant d'argent et ont été dans l'obligation de développer une ingénierie financière plus ou moins complexe pour évacuer leur cash. En matière de trafic de stupéfiants par exemple, il faut viser le noyau dur des collecteurs financiers. »
« On ne démantèle pas une organisation criminelle sans s'attaquer aux flux financiers, renchérit Stéphanie Cherbonnier, adjointe au chef de l'OCRGDF. Car, dans la majorité des cas, les trafics de stupéfiants se poursuivent quand les vendeurs sont écroués. »
Dans ces conditions, une réalité s'impose : « On ne peut plus faire de distinguo entre l'enquête criminelle et l'enquête financière, souligne Jean-Marc Souvira. Sur une grosse affaire de stupéfiants, il est indispensable que l'OCRGDF soit cosaisi immédiatement avec le service chargé de l'enquête portant sur le trafic. La technicité de nos policiers en matière bancaire, comptable et financière est indispensable pour décoder une comptabilité, mettre à jour les flux financiers et identifier le parcours des produits du trafic. »
Ce qui est vrai pour le trafic de stupéfiants l'est aussi pour d'autres « secteurs » de la grande criminalité que ce soit en matière de terrorisme ou de grand banditisme corse. Autant de domaines dans lequel l'OCRGDF est amené à intervenir. « Notre activité est liée à l'actualité. Cela nous confronte constamment à de nouvelles pratiques, confie Stéphanie Cherbonnier. Actuellement, nous sommes mobilisés sur des escroqueries d'un genre particulier dont sont victimes les entreprises françaises. Des individus basés en Israël se font passer pour des dirigeants de sociétés en déplacement et contactent le service comptable ou financier pour se faire virer des sommes importantes, prétextant un besoin impérieux. Les préjudices sont considérables, parfois de l'ordre de plusieurs millions d'euros. »
« Les sommes extorquées sont ensuite transférées en Chine, indique Jean-Marc Souvira. Ces individus profitent en effet à 100 % des obstacles de la coopération policière internationale. » Pour les contrer, une seule solution : réagir immédiatement. « La rapidité des flux financiers nécessite une réponse immédiate et, sur ce point, le travail des ASI concernés et de leurs équipes (Chine et Israël) est remarquable. Grâce à eux, nous arrivons à des résultats probants. » Ces escroqueries s'appuyant sur les défaillances humaines au sein de l'entreprise, la prévention constitue néanmoins la meilleure protection possible. « J'organise très régulièrement des séances de formation et d'information auprès des grands groupes français et du MEDEF, pour les sensibiliser à cette question. Cela fait partie du job de l'office. »