Civique a suivi pendant une journée Daniel Canepa, le préfet de la région Île-de-France et de Paris. L'occasion de constater combien le dossier du Grand Paris, projet majeur pour le développement de la région et de la France, mobilise le responsable de l'État.
C'est une journée placée sous le signe du Grand Paris qui attend Daniel Canepa ce 7 décembre 2011 : de Paris à Saclay en passant par Andrésy, le préfet de la région Île-de-France, consacrera la majeure partie de son temps à des réunions sur ce sujet.
Le projet est, il est vrai, ambitieux, vaste et complexe. Voulu par le président de la République, le Grand Paris entend "renforcer la région Capitale dans son rôle de ville-monde, moteur de la croissance nationale, compétitive au niveau international et attractive pour ses résidents, présents et futurs". Capital pour le développement économique de la région, le projet l'est également pour le pays.
"Depuis le mois de novembre, la plupart de mes journées sont consacrées à ce dossier", précise le préfet d'Île-de-France, avant de recevoir Maurice Leroy, ministre de la Ville en charge du dossier Grand Paris, qui, à ce titre, veille à la mobilisation et à la coordination de tous les acteurs institutionnels sur le projet. Ces réunions sont fréquentes et régulières entre le ministre et le préfet, car c'est en relation avec le préfet de la région Capitale que Maurice Leroy assure la mobilisation de l'ensemble des outils dont dispose l'État pour mettre en oeuvre le projet du Grand Paris, et ce dans toutes ses dimensions : transports, aménagement et développement urbain, développements économique et culturel, cohésion sociale et territoriale.
"Nous nous réunissons, en règle générale, une fois par semaine afin de faire le point sur l'ensemble des dossiers. Nous nous voyons avec nos directeurs de cabinet respectifs ou en présence du président du conseil de surveillance de la société du Grand Paris, André Santini, et du président du directoire, Étienne Guyot, pour évoquer plus spécifiquement la question du transport." [La Société du Grand Paris (SGP), créée par la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, est un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial qui a pour mission de concevoir et d’élaborer le schéma d’ensemble et les projets d’infrastructures composant le réseau de transport public du Grand Paris et d’en assurer la réalisation, qui comprend la construction des lignes, ouvrages et installations fi xes, la construction et l’aménagement des gares. Elle veille également au maillage cohérent du territoire par une offre de transport de surface permettant la desserte des gares du réseau de transport public du Grand Paris.]
Ce volet constitue l'un des axes forts du projet. "Il ne s'agit pas seulement de créer de nouvelles lignes et de nouvelles gares.[L’un des axes essentiels du Grand Paris concerne la modernisation des transports en commun et l’amélioration de la mobilité des voyageurs et des marchandises. Parmi les projets retenus, le plus important concerne celui du nouveau métro automatique " Grand Paris Express", qui reliera les pôles de développement économique amenés à réunir des entreprises, des institutions et des établissements universitaires ou de recherche. Le tracé du métro automatique assurera également les correspondances avec les gares TGV et les aéroports franciliens. Le nouveau réseau de transports, long de 175 km, prévoit la création de 57 nouvelles gares.] L'enjeu est de prendre en compte l'impact de ces infrastructures sur les territoires." Ce dossier complexe a d'ailleurs nécessité qu'une convention spécifique soit passée avec la région, car "il ne peut réussir que s'il est partagé".
Cette réunion hebdomadaire entre Maurice Leroy et Daniel Canepa est indispensable : "Elle nous permet de nous informer mutuellement, d'éviter les redondances, de compléter notre action et donc d'avancer dans le même sens." 9 h 30 : dès la fin de la réunion, Daniel Canepa s'engouffre dans sa voiture pour rejoindre Andrésy, dans les Yvelines.
Ce secteur de l'ouest francilien fait partie des dix territoires de projet appelés à devenir des pôles d'excellence économique [Outre Confl uence Seine-Oise, les territoires retenus sont Gonesse-Val-de-France, Le Bourget, Roissy-Villepinte-Tremblay, Est de la Seine-Saint-Denis, Est-parisien cité Descartes, Saint-Denis-Pleyel, La Défense, Plateau de Saclay et Sud-parisien. Ces territoires ont vocation à devenir des "clusters", c’est-à-dire des regroupements d’entreprises et d’institutions partageant un même domaine de compétences, proches géographiquement, reliées entre elles et complémentaires.] dont l'objectif est de valoriser et de développer les atouts industriels, universitaires, artistiques, culturels ou environnementaux, en associant l'économie de la connaissance et le développement durable, le développement culturel et la cohésion sociale. "Je suis chargé de mener les négociations avec l'ensemble des collectivités locales concernées dans le but d'élaborer des contrats de développement territorial.[Les contrats de développement territorial (CDT) sont un instrument de mise en oeuvre des différentes composantes du dessein métropolitain. En cohérence avec l’implantation des nouvelles gares, les acteurs publics définiront un projet global assurant le développement économique, urbain et social de chacun des territoires identifiés. Selon la loi, ces contrats peuvent être conclus entre l’État (en la personne du préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris), les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. Le périmètre concerné regroupe un ensemble de communes d’un seul tenant et sans enclave. En plein accord avec les élus locaux qui seront signataires, priorité est donnée à la conception d’une vision commune. Nouvelle forme de collaboration entre l’État et les collectivités territoriales, le CDT est un dispositif basé sur des enjeux d’aménagement qui dépassent les limites institutionnelles.] Il me revient ensuite d'animer et de suivre l'avancement des différents projets."
Lors de ce comité de pilotage réunissant l'ensemble des élus concernés, le préfet d'Île-de-France, accompagné du préfet du Val-d'Oise, Pierre-Henry Maccioni, et de Bernard Fragneau, préfet, secrétaire général du commissariat général au développement de la vallée de la Seine, n'aura de cesse de rassurer les élus sur la volonté de l'État de mener à bien le projet, et ce malgré la crise économique. "La réalisation de la plate-forme portuaire d'Achères constitue l'élément essentiel et stratégique de ce projet, puisqu'il a vocation à devenir un port majeur sur l'axe de la Seine et qu'il sera relié au futur canal à grand gabarit Seine-Nord-Europe. Il s'agit d'un chantier énorme, et toute réalisation d'importance est source d'inquiétude pour les élus."
Daniel Canepa s'emploiera notamment à les rassurer sur les aspects les plus sensibles du programme : le transport et le logement. "Les craintes concernent avant tout la Francilienne. La plupart des élus redoutent que le tronçon ne soit pas réalisé jusqu'au port d'Achères." Quant au logement, c'est la densification des constructions qui suscite une certaine appréhension. "Ils souhaitent des garanties sur la construction d'équipements publics qui accompagneront la création de logements. Certains élus appréhendent également des déséquilibres, voire des modifications, de la sociologie de leur commune, avec des conséquences sur les futures élections."
Au-delà de son rôle de facilitateur et d'accompagnateur du projet, le préfet s'efforcera tout au long de cette séance de répondre à l'ensemble des interrogations des élus. Pragmatique, il proposera en fin de séance que soit acté ce qu'il appelle la volonté commune de construire "une stratégie de développement de confiance". "La signature du contrat de développement territorial fixera un carnet de route dans lequel nous serons solidaires, c'est un contrat de confiance réciproque. Cette signature nous engagera collectivement. Je vous propose, avant cela, de marquer une étape ensemble, en élaborant un protocole d'accord sur le contrat de développement territorial."
La réunion d'Andrésy se prolongeant bien au-delà de l'heure prévue, Daniel Canepa n'aura guère l'occasion d'inaugurer, comme il était prévu, la résidence Valmy dans le 10e arrondissement de Paris, une structure réunissant dans un même espace des logements, une maison relais gérée par Emmaüs et un centre d'hébergement et de réinsertion sociale. Le préfet d'Île-de-France sera certes remplacé par le secrétaire général de la préfecture, le préfet Bertrand Munch, mais ce contretemps le contrariera grandement. Il souhaitait en effet, par sa présence, rappeler l'implication de la préfecture en matière d'hébergement social et de construction de logements sociaux, problématiques particulièrement complexes et sensibles dans la région. "L'État s'implique sans relâche dans la prise en charge des personnes les plus fragiles et y consacre des moyens financiers croissants, jusqu'à atteindre les 210 M€ en 2011. À Paris, chaque nuit, l'État héberge 26 000 personnes dont 17 000 à l'hôtel. En période hivernale, ce dispositif est renforcé. Nous y consacrons ainsi 5 M€ supplémentaires pour financer des nuitées hôtelières ainsi que le fonctionnement des centres d'hébergements d'urgence. Néanmoins, cela reste encore insuffisant et il me faut parfois taper du poing sur la table pour ouvrir de nouvelles places d'hébergement d'urgence."
Quant au logement social, Daniel Canepa rappelle que les demandes atteignent chaque année le nombre de 380 000, un chiffre impressionnant, même si 40 % d'entre elles concernent des demandes de changement dans le parc social. "Nous sommes dans une situation de pénurie très importante. Le problème est d'autant plus difficile que le prix du foncier est particulièrement élevé. Il existe néanmoins certaines solutions, qui passeront par la modification des documents d'urbanisme pour certains terrains, mais la tâche reste difficile et nécessite la mobilisation de nombreux acteurs."
Retour au Grand Paris. Le projet du plateau de Saclay est l'un des plus ambitieux du Grand Paris. Ce territoire regroupe en effet des acteurs majeurs de l'innovation technologique française : pôles de recherche et développement de grandes entreprises, universités tournées vers la recherche, centres de recherche et grandes écoles d'ingénieurs et de management. Ces établissements représentent 10 % de la recherche publique et privée française, dans des domaines aussi divers que les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie et l'optique. "Cela fait trente ans qu'est évoquée la nécessité de favoriser le rapprochement de ces établissements, afin de développer sur le plateau de Saclay une force de frappe scientifique de dimension mondiale. Les échanges entre chercheurs et le frottement des sciences sont en effet à l'origine des découvertes les plus importantes."
L'objectif sur ce territoire est de mettre en place un véritable cluster, à l'image de Boston ou de Cambridge. "Le projet est cependant complexe, car nous sommes sur un territoire essentiellement agricole. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre la protection de l'environnement, la préservation des terres et le besoin de fonciers pour atteindre les objectifs."
Retour à Paris pour Daniel Canepa, où l'attendent ses collaborateurs, membres du corps préfectoral. Prévue à 19 heures, la réunion commence avec un certain retard. "Les déplacements constituent l'une des difficultés du métier en région parisienne. Je passe une grande partie de mon temps dans mon véhicule, qui est devenu de fait mon second bureau."
Comme tout préfet, Daniel Canepa tient à ces réunions avec le corps préfectoral, task force indispensable pour le fonctionnement de la préfecture. "Mon emploi du temps est si dense que je ne suis pas en mesure de réunir mes collaborateurs tous les jours. J'organise au moins deux réunions par semaine, mais ils savent bien qu'ils ont la liberté de pousser ma porte à tout moment." Mais qu'attend au juste le préfet de ses collaborateurs ? "Qu'ils soient réactifs, constructifs et qu'ils participent à la décision. J'attends également qu'ils prennent des initiatives, à condition de m'en rendre compte, de sorte que je puisse prendre ma décision en toute connaissance de cause", conclut Daniel Canepa, alors que la nuit est tombée depuis plusieurs heures sur la capitale.