Le processus de décentralisation, mis en oeuvre en France depuis une trentaine d'années, a marqué une rupture avec la tradition centralisatrice qui a constitué, des siècles durant, une forte spécificité de l'organisation politique et administrative de la France.
Depuis la fin du Moyen Âge, la monarchie française s'était efforcée d'affirmer son autorité sur "un agrégat inconstitué de peuples désunis", selon l'expression de Mirabeau. Elle avait ainsi tenté de rogner sur les innombrables franchises, privilèges, libertés auxquels elle avait dû consentir lors de l'entrée dans le royaume des nouvelles entités. Malgré tous ses efforts, la centralisation reste assez largement un horizon à la veille de la Révolution française.
Car ce n'est pas la monarchie française qui va mettre en oeuvre l'unification nationale, mais bien le renversement de l'Ancien Régime par la bourrasque révolutionnaire. En faisant table rase, la Révolution pose les fondations d'un nouvel édifice social. À la confusion administrative des provinces se substitue une organisation territoriale uniforme, avec des circonscriptions identiques dans tout le pays : départements, arrondissements, cantons, communes. L'unification s'impose également dans le domaine des institutions financières, judiciaires, économiques et même religieuses.
Héritier de la France révolutionnaire, Bonaparte accentuera la centralisation en décidant que les membres des assemblées locales cessent désormais d'être élus et sont désignés par le gouvernement, que les maires des localités de plus de 5 000 habitants sont nommés par le Premier Consul, et surtout, que dans chaque département un fonctionnaire unique nommé par le pouvoir central, le préfet, administre le territoire. C'est cette organisation, très centralisée, que l'Empire léguera à la France du xixe siècle.
Les différents régimes qui se succèdent au cours du xixe siècle vont maintenir inchangées les structures centralisatrices héritées de la Révolution et de l'Empire, qui assurent l'unité nationale et le pouvoir du gouvernement central sur le pays tout entier. Malgré des voix isolées qui dénoncent l'envers négatif du système centralisé, la cause semble entendue au début du xxe siècle. La centralisation jacobine est partie intégrante du modèle républicain tel qu'il triomphe avant la Première Guerre mondiale.
La Première Guerre mondiale va commencer à saper ce pilier du modèle républicain. Le retour à la France des départements d'Alsace et de Moselle, annexés par l'Allemagne en 1871, ramène en effet dans l'ensemble national des territoires qui conservent le statut concordataire en matière religieuse et n'ont pas connu la loi de séparation des Églises et de l'État en 1905. En 1919, il est décidé de laisser aux trois départements le bénéfice du Concordat. Toutefois, cette entorse aux principes centralisateurs restera un cas unique. Dans le domaine économique et social, un premier acte est posé en avril 1919 par Étienne Clémentel, ministre de l'Industrie et du Commerce, qui décide la création, autour de l'ossature des chambres de commerce, de dix-sept "groupements économiques régionaux", que l'on peut considérer comme les ancêtres des régions économiques. La régionalisation économique, conçue dans une logique de rénovation de l'État et d'instrument de planification et d'aménagement du territoire, constituera, sous les IVe et Ve Républiques, la ligne directrice de la décentralisation.
En 1941, le gouvernement de Vichy nomme dix-huit préfets régionaux, représentants du pouvoir central en matière de police, de ravitaillement et de prix. Leur succèdent à la Libération autant de commissaires de la République, désignés par le gouvernement provisoire en janvier 1944. Cette mesure d'exception sera levée en mars 1946. Pour la première fois, une constitution française, celle du 27 octobre 1946, consacrera un titre aux collectivités territoriales.
La période d'après-guerre marque une prise de conscience des inégalités de développement régional dans le contexte de rationalisation économique qui accompagne la reconstruction du pays. Le cadre départemental était depuis longtemps jugé trop étroit pour le développement économique et social. Les problèmes d'activités et d'emploi devaient être appréhendés sur une échelle plus large. Aussi, en 1955-1956, plusieurs décrets instituent vingt et une "régions de programme", circonscriptions d'action régionale tournées vers le développement économique. Ces regroupements de départements ne constituent cependant pas des entités administratives nouvelles, et encore moins des collectivités locales.
C'est sur ces bases que le général de Gaulle, après son retour au pouvoir, lance, par décret du 14 mars 1964, la régionalisation, conçue comme un des éléments de la rénovation de l'État. Le cadre étatique n'est toutefois pas remis en question. Les entités sont placées sous la tutelle des préfets de région. Ce dernier prépare et exécute la tranche régionale du plan, il exerce une autorité hiérarchique sur les chefs des services extérieurs de l'État. Une "mission régionale" (futur SGAR) l'assiste. Le préfet de région consulte la conférence administrative régionale (CAR), comprenant les préfets de départements et des hauts fonctionnaires. Il recueille aussi l'avis de la commission de développement économique régionale (CODER), où siègent élus locaux, représentants des organisations socioprofessionnelles ou personnalités nommées.
La crise de 1968 conduit le général de Gaulle à franchir un nouveau pas dans la conception d'une régionalisation qui s'achemine lentement vers une forme de décentralisation. Le 27 avril 1969, il soumet au référendum un projet de loi qui prévoit la transformation des circonscriptions régionales en collectivités territoriales se superposant aux départements. Ces collectivités disposaient d'un conseil régional délibératif sur le modèle du conseil général, le préfet de région jouant le double rôle de délégué du gouvernement et d'exécutif régional. Toutefois, le conseil régional n'est pas élu au suffrage universel direct mais constitué par les députés élus dans la région, des conseillers territoriaux élus au second degré par les conseillers généraux et les délégués des conseils municipaux et des représentants désignés par les organismes socioprofessionnels représentatifs. Le non au référendum l'emporte, entraînant le départ du général de Gaulle.
Sous la présidence de Georges Pompidou, tandis que la Corse, vingt-deuxième région, est détachée de la Provence-Côte d'Azur en 1970, la loi du 5 juillet 1972 confère aux régions le statut d'établissement public, personne morale soumise au principe de spécialisation. Elles se voient confier le développement économique régional, la participation à l'élaboration et à l'exécution du plan, la réalisation d'équipements d'intérêt régional. Le préfet de région assure l'exécutif de l'établissement public. Le conseil régional est composé d'élus de la région, munis de certains pouvoirs de décision. La région dispose d'un budget propre.
En novembre 1975, le président Valéry Giscard d'Estaing confie à Olivier Guichard, le premier délégué de la DATAR, créée en 1963, la présidence d'une commission chargée d'esquisser une réforme des institutions locales. En septembre 1976, le rapport "Vivre ensemble" recommande un véritable renversement des rôles entre l'État et les collectivités territoriales dans tous les domaines de la vie quotidienne. Durant l'été 1977, un "questionnaire aux maires de France" reçoit plus de 16 000 réponses : refus de la tutelle étatique, volonté d'exercer des compétences plus nombreuses en relation avec la vie quotidienne des gens, revendication de moyens humains et financiers. Inspiré du rapport Guichard, un projet de loi sur "le développement des responsabilités locales" est présenté au Sénat par le ministre de l'Intérieur, Christian Bonnet, et adopté en première lecture le 22 avril 1980. Toutefois, il ne viendra pas en discussion devant l'Assemblée nationale.
En 1981, suite à l'élection de François Mitterrand, le ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Gaston Defferre, s'attelle à préparer la grande réforme de la décentralisation. À partir de juillet 1981, le projet de loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, premier projet de loi soumis au parlement nouvellement élu, est débattu. La loi est votée le 28 janvier 1982 et promulguée le 2 mars 1982. Complétée par la loi du 22 juillet 1982, elle introduit d'importantes modifications dans l'organisation territoriale du pays, dont les plus notables sont : l'institution du président du conseil général en exécutif de département à la place du préfet ; le remplacement de la tutelle administrative a priori par un contrôle juridictionnel a posteriori ; la création d'une nouvelle juridiction financière, la chambre régionale des comptes, dont l'une des missions est d'assister le préfet en matière de contrôle budgétaire ; la promotion de la région en collectivité territoriale à part entière, dotée d'un conseil élu au suffrage universel ; dans chaque département et région, le représentant de l'État continue d'avoir la charge des intérêts nationaux, du respect des lois, de l'ordre public et du contrôle administratif. Les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 ont modifié la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État. De 1982 à 1986, 25 lois complétées par environ 200 décrets se succèdent. C'est ce que l'on a appelé l'"Acte I de la décentralisation".
La loi d'orientation relative à l'administration territoriale de la République du 6 février 1992 a pour ambition de donner un "second souffle" à la décentralisation, en relançant la coopération intercommunale ainsi que la démocratie locale et en renforçant la déconcentration, réformes prolongées par la loi du 4 février 1995 sur l'aménagement et le développement du territoire et surtout par la loi dite Chevènement du 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la coopération intercommunale. La loi Voynet du 25 juin 1999, relative à l'aménagement et au développement durable, la loi dite "solidarité et renouvellement urbain" du 13 décembre 2000, ainsi que la loi sur la démocratie de proximité du 28 février 2002 complètent ce dispositif.
Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de Jacques Chirac, lance "l'Acte II de la décentralisation" en 2003. Promulguée le 28 mars 2003, la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République a été suivie de plusieurs lois organiques nécessaires à son application. Elle a précédé l'adoption d'un important transfert de compétences nouvelles au profit des collectivités territoriales.
La réforme constitutionnelle actualise le cadre juridique hérité du texte constitutionnel de 1958 et pose de nouveaux principes. La réforme a été adoptée par la voie du Congrès et non par celle du référendum. La discussion devant les assemblées s'est accompagnée, en parallèle, d'un débat dans l'opinion, réalisé par la tenue d'Assises sur les libertés locales dans chacune des régions françaises. La loi constitutionnelle a modifié profondément le titre XII de la constitution, consacré aux collectivités territoriales. Le principe de "l'organisation décentralisée" de la République est posé (art. 1er de la Constitution) et la région trouve sa consécration constitutionnelle. Plusieurs lois organiques, voulues par le constituant, ont été publiées dans la foulée de la révision constitutionnelle. Il s'agit de la loi organique du 1er août 2003, relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales, préalable à toute politique différenciée de décentralisation, et de celle du même jour relative au référendum local, qui correspond à la nécessité d'affirmer de nouvelles formes de démocratie participative. Enfin, la loi organique du 29 juillet 2004, prise en application de l'article 72-2 de la Constitution, relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, précise la notion de "ressources propres" qui doivent constituer la "part déterminante" parmi les ressources des collectivités.
S'agissant du transfert des compétences, un vaste projet de loi relatif aux responsabilités locales fut discuté pendant plusieurs mois au Parlement, avant de devenir la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. La loi transfère de nouvelles compétences aux collectivités territoriales dans les domaines du développement économique, du tourisme, de la formation professionnelle ou de certaines infrastructures comme les routes, les aérodromes, les ports, en matière de logement social et de construction, d'enseignement ou de patrimoine. Certaines de ses dispositions ont un caractère expérimental, pour une durée qui n'excède pas cinq ans. Elle comporte aussi un mouvement non négligeable de transfert de personnels de l'État vers les collectivités, notamment les agents techniciens et ouvriers de service (TOS) employés dans les collèges et les lycées, et des agents de l'Équipement. De manière un peu paradoxale, la réforme, qui se fixait à l'origine un objectif de renforcement des compétences du niveau régional, débouchera surtout, à la faveur de la discussion parlementaire, sur le renforcement du rôle et des compétences dévolues aux départements, en particulier dans le domaine social.
Les réformes engagées sous l'actuel quinquennat marquent une certaine rupture par rapport à la stratégie des deux premiers actes de la décentralisation. Alors que ces derniers s'étaient avant tout focalisés sur les transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales, l'objectif assumé est désormais de rechercher une simplification du paysage institutionnel local, un renforcement de la démocratie locale et une adaptation des structures à la diversité des territoires, favorisant ainsi l'enracinement d'une décentralisation arrivée à maturité. Par ailleurs, les réformes du quinquennat intègrent la forte contrainte qui pèse sur les finances publiques dans le contexte de la crise financière et économique qui s'ouvre à partir de 2007. À bien des égards, les collectivités territoriales françaises entrent dans une ère nouvelle depuis les lois de décentralisation de 1982, celle de la régulation, à la fois institutionnelle et financière.
Aboutissement d'un long travail de concertation, notamment marqué par les travaux du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur, et d'un long dialogue avec le Parlement, la loi de réforme des collectivités territoriales a été promulguée le 16 décembre 2010. Son premier volet vise l'achèvement et la rationalisation de la carte intercommunale, ainsi que la démocratisation des intercommunalités, qui trouvera sa traduction lors des prochaines élections municipales de 2014. Parallèlement, régions et départements, aux compétences mieux définies par la suppression de la clause générale de compétence et dotés d'un élu commun, le conseiller territorial, pourront adapter dans chaque région, dès 2015, la répartition de leurs compétences et l'organisation de leurs services. Différentes dispositions permettent en outre d'adapter les institutions locales à la diversité des territoires : métropoles et pôles métropolitains, regroupements des départements et des régions, évolution d'une région et des départements qui la composent vers une collectivité unique, fusion de communes avec le dispositif des "communes nouvelles", etc. Enfin, la loi comporte d'importantes avancées en termes de mutualisation, qui permettront de tirer le meilleur profit des rapprochements ainsi opérés, tant au plan communal et intercommunal qu'entre régions et départements, dans le respect du droit communautaire.
Début 2012, la loi du 16 décembre 2010 a déjà commencé à produire ses effets. Ainsi, deux tiers des départements ont d'ores et déjà arrêté un schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) au 31 décembre 2011. Dans ces départements, il n'y aura plus aucune commune isolée, ni aucune enclave ou discontinuité au sein d'un EPCI à fiscalité propre : 1 179 communes isolées sont intégrées à un EPCI et 105 enclaves ou discontinuités disparaissent. Le nombre d'EPCI à fiscalité propre sera réduit de près de 20 %, passant de 1 828 à 1 477. Le nombre de syndicats intercommunaux sera, lui, réduit de 18 %, soit un taux équivalent à celui de la réduction du nombre de syndicats entre 1999 et 2011 (20 %). Par ailleurs, une première métropole, celle de Nice-Côte d'Azur, a été créée au 1er janvier 2012. Enfin, les années 2012 et 2013 devraient voir la création de plus de 13 communes nouvelles et d'au moins 8 pôles métropolitains.
Par ailleurs, dans un contexte de maîtrise accrue des finances publiques, les ressources des collectivités territoriales sont davantage mises sous tension. Une importante réforme de la fiscalité locale est introduite avec la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), formée d'une cotisation foncière des entreprises (CFE) et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). À la suite de la conférence des déficits publics, qui s'est tenue le 20 mai 2010 sous l'égide du président de la République, dont les conclusions s'appuieront entre autres sur le rapport Carrez-Th enault relatif à la maîtrise des dépenses locales, plusieurs décisions sont prises. Tout d'abord, le Gouvernement décide un gel triennal des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales (2011-2013).
Il décide ensuite un renforcement sans précédent des mécanismes de péréquation entre les territoires. Ainsi, la péréquation verticale (qui concerne la répartition des dotations que l'État verse aux collectivités territoriales) progresse fortement : la part de la dotation globale de fonctionnement (DGF) consacrée à la péréquation, qui était de 4,5 milliards d'euros en 2004 (12,3 % de la DGF totale), s'élève en 2011 à 7,1 Mds € (17,2 % de la DGF). Parallèlement, une impulsion décisive en faveur renforcement de la péréquation horizontale (entre les collectivités elles-mêmes) a été donnée. Quatre nouveaux fonds nationaux de péréquation horizontale sont mis en place et montent en puissance progressivement.
Ainsi, en 2011, un nouveau dispositif de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), perçus par les départements, est mis en oeuvre. En 2012, un fonds de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales (FPIC) est créé afin de diminuer les inégalités de ressources fiscales au sein du bloc communal (communes et EPCI). Il va constituer, à l'horizon 2016, le plus vaste édifice de solidarité du bloc communal jamais mis en oeuvre à l'échelle nationale. Ce fonds va redistribuer 150 M€ dès 2012 et montera progressivement en charge jusqu'en 2016 pour redistribuer 2 % des recettes communales et intercommunales, soit plus de 1 milliard d'euros. En 2013, une péréquation sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) entre les départements et entre les régions complétera le dispositif de redistribution entre les territoires.
Enfin, toujours à la suite des décisions de la conférence des déficits, un effort sans précédent de maîtrise et de simplification des normes imposées aux collectivités territoriales a été entrepris. Le Premier ministre François Fillon a ainsi décidé un moratoire des normes, créé un commissaire à la simplification et imposé une procédure d'évaluation de la proportionnalité des mesures réglementaires, obligeant désormais les administrations à rechercher, dès le stade de la conception de la norme, la réglementation la plus économe de moyens.