Un entretien avec Philippe Richert, ministre chargé des Collectivités territoriales

"La réforme touche tout le monde, les collectivités doivent accompagner cet effort général"


Civique : Après un long travail parlementaire, la loi sur la réforme des collectivités territoriales a été adoptée. Pour quelles raisons fallait-il réorganiser ces collectivités ?

Philippe Richert : Quand je regarde l'histoire de la décentralisation dans notre pays, je constate qu'entre 1982 et 2010 il s'est passé vingt-huit ans, vingt-huit ans pendant lesquels beaucoup de choses ont changé autour des collectivités territoriales, et beaucoup de choses au sein même des collectivités territoriales, en termes de compétences mais aussi de budget. Aujourd'hui, l'empilement des compétences fait que le citoyen ne sait plus à qui s'adresser tant il existe de juxtapositions et d'interférences. Dans ce contexte, où est l'efficacité ?
D'autre part, nous traversons une période de crise. Pouvait-on imaginer que les collectivités territoriales restent dans une bulle, à l'écart de cette crise ou n'en tirant pas toutes les conséquences ?
Il était donc nécessaire, à bien des égards, de procéder à cette remise à plat des collectivités territoriales, tant pour permettre à leurs interlocuteurs de mieux les identifier que parce que la réforme touche tout le monde, l'État le premier, que les enjeux sont collectifs et que les collectivités devaient accompagner cet effort général.

Civique : Le Conseil constitutionnel a validé la loi à l'exception du tableau fixant le nombre de conseillers territoriaux. Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui ont conduit à invalider ce point, et les conséquences de cette décision ?

Philippe Richert : La décision du Conseil constitutionnel nous satisfait pleinement. Les griefs contenus dans le recours étaient nombreux, et pourtant le Conseil a validé nos propositions dans leur quasi-totalité. À l'exception toutefois de six départements pour lesquels il suffi ra de rectifier le nombre prévu de conseillers territoriaux. Ce n'est pas une remise en cause. Il y avait un principe d'équilibrage entre le nombre moyen d'habitants par canton dans les départements en question et le nombre moyen d'habitants par canton dans leurs régions respectives, et il avait été dérogé très localement à ce principe. Il y aura en fait peu à modifier pour que nous revenions dans les clous. Le seul problème, c'est que nous allons être obligés de revenir devant le Parlement, dont le programme de travail est déjà très chargé.

Civique : Quel sera le rôle du conseiller territorial ?

Philippe Richert : Ce sera un élu territorial qui aura la double casquette. Il siégera à la fois dans l'assemblée départementale – le conseil général – et l'assemblée régionale - le conseil régional. Ce sera évidemment très pratique pour celui ou celle, association, entreprise ou commune, qui, pour son projet ou le règlement de sa problématique, aura besoin de rencontrer un membre des deux assemblées. Désormais, il n'aura à faire qu'à une seule personne, représentative à la fois du département et de la région, ce qui ne pourra que lui faciliter la tâche. La simplification ici va dans le sens de l'efficacité et de la lisibilité.
En même temps, l'élu local sera mieux identifié par la population et ses interlocuteurs. Le conseiller pourra sensibiliser le conseil général et le conseil régional aux problématiques propres au territoire et aux habitants qu'il connaît. Nous constatons aujourd'hui que si le conseil général est bien identifié, il en va autrement du conseil régional, dont l'action est diluée à un niveau et sur un territoire plus large. Les conseillers héritent nécessairement de cette différence de visibilité. L'élu territorial bénéficiera d'une visibilité renforcée, puisqu'il aura la double compétence.

Civique : La loi favorise le développement de l'intercommunalité. Quelles en sont les modalités et quel est le but recherché ?

Philippe Richert : L'intercommunalité a déjà connu d'importantes réformes. En matière de développement économique comme d'aménagement de l'espace – dossiers complexes –, c'était devenu le passage obligé. Mais ce n'est pas suffisant : il existe encore de trop nombreuses communes isolées dont les moyens ne leur permettent pas de répondre seules à toutes leurs missions de service public de proximité, et notre pays compte encore plus de 15 000 syndicats intercommunaux dont un certain nombre détiennent les mêmes compétences que des établissements publics de coopération intercommunale plus récents. Un certain nombre de points montrent que le Gouvernement a non seulement voulu rester dans le schéma communal mais encore qu'il a voulu le renforcer. Notamment en instituant des structures intercommunales à fiscalité directe, et en imposant une taille minimum à ces structures. De la sorte, la réforme insuffle cohérence et homogénéisation là où existaient la disparité et la confusion, l'efficacité demeurant l'objectif principal [L'objectif est d'arriver à une couverture intégrale du territoire par des intercommunalités au plus tard le 1er juin 2013].
S'agissant des élus intercommunaux, ils étaient jusqu'ici désignés à l'intérieur des équipes communales constituées. Maintenant, c'est lors des élections municipales que les électeurs identifieront le niveau intercommunal, grâce à un fléchage opéré sur les listes, et les désigneront en connaissance de cause au suffrage universel. C'est une avancée démocratique importante.
S'agissant du seuil de mise en œuvre du scrutin de liste, le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat prévoit pour l'instant son abaissement de 3 500 habitants à 500 habitants. Ce point sera discuté au Parlement au premier semestre 2011 ; je ne suis pas sûr que ce scrutin soit pertinent dans beaucoup de petites communes et il faudra peut-être relever ce seuil. Le premier sera au niveau de la parité, dont les bénéfices seront étendus : cela devrait permettre d'impliquer dans la vie politique locale 20 000 à 25 000 femmes de plus.

Civique : Parmi les nouveaux outils de regroupement de communes figure la métropole. Comment les compétences vont-elles se répartir entre les différentes collectivités territoriales ?

Philippe Richert : Il faut d'abord savoir qu'il reste prérogatives importantes à l'État, même question de revenir sur les compétences décentralisées. Il existe ensuite quatre niveaux d'administration locale : la commune, l'intercommunalité, le département la région. L'intercommunalité offre des possibilités d'intervention plus larges aux communes dans où elles peuvent bénéficier d'économies d'échelle et mettre en commun leurs moyens. La réforme pas au mille-feuilles, comme certains le disent, mais au contraire permet d'adapter aux enjeux et spécificités du territoire les outils existants. Ainsi, elle enrichit les formules de coopération intercommunale, avec la métropole, le pôle métropolitain et les communes À cet égard, la métropole offre la forme la plus Cet établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 500 000 habitants pourra bénéficier de transferts de compétences du département et de la région et se voir confi er temps par l'État, la gestion de grands équipements et d'infrastructures.
L'enjeu pour notre pays est clairement de dynamique et capacité d'action de nos grandes agglomérations dans un contexte de forte concurrence les grandes métropoles européennes et mondiales, en continuant à soutenir le développement des territoires les plus fragiles.
Je rappelle enfin que des intercommunalités pourront se transformer en communes nouvelles, la base du volontariat des communes et de la consultation des populations concernées.

Civique : Comment les élus ont-ils été informés du contenu de la réforme ?

Philippe Richert : Le texte a été très débattu, on l'oublie un peu vite. Trois commissions ont travaillé avant que le Parlement s'en saisisse. Parallèlement, il a été tenu compte des remarques des associations d'élus. Les choses ont donc considérablement évolué entre le texte initial du Gouvernement et le texte final adopté. Pourtant, les élus n'ont le plus souvent retenu que la première mouture ; ils en ont gardé une image tronquée, de sorte que nous devons continuer leur information comme celle de la population. Nous avons besoin que les gens comprennent bien cette réforme. Il en va de sa bonne mise en œuvre, de son efficacité pour que l'organisation de la France soit au moins aussi performante que celle des pays avec lesquels nous sommes en concurrence.
C'est pour cela que nous avons réalisé une plaquette spécifique à destination des maires. C'est pour cela que le président de la République continuera de se rendre sur le terrain. Et c'est pour cela que j'ai moi-même inauguré aujourd'hui même, 20 décembre, dans le Loiret, un tour de France pour assurer la réussite de la première étape de la réforme, à savoir la mise en place de l'intercommunalité.

Civique : Dans ce contexte de mobilisation des esprits, qu'attendez-vous de la direction générale des collectivités locales et des préfectures, pour aider à la compréhension et l'assimilation de la réforme ?

Philippe Richert : Les préfectures ont clairement un rôle de pédagogie et de communication à jouer : en direction des collectivités, des élus, des entreprises, des associations et des citoyens. J'ai donné une feuille de route aux préfets. Avec le concours des sous-préfets, ils ont une grande responsabilité pour expliquer la réforme. Quant à la direction générale des collectivités territoriales, avec laquelle je travaille au quotidien, c'est vraiment une administration d'une très grande qualité. Son rôle d'ensemblier, de conseil et d'évaluateur est déterminant.