Claude Morel a quitté en avril dernier son poste de préfet délégué à l'égalité des chances de Seine-Saint-Denis pour la préfecture de Chaumont, en Haute-Marne. Un grand écart dans sa fonction de préfet entre deux départements aux antipodes.
Dès lors qu'un préfet prend ses nouvelles fonctions dans une préfecture, il remet au ministère de l'Intérieur, après trois mois d'activité, un "rapport d'étonnement", dans lequel il livre ses impressions, positives et/ou négatives, et ses éventuelles propositions en conséquence. Claude Morel, préfet de la Haute-Marne en place depuis avril 2011, l'a rédigé au cours de l'été dernier : "J'y ai souligné l'extraordinaire grand écart que l'on demande aux membres du corps préfectoral. Je ne pourrai jamais changer aussi radicalement de planète comme je viens de le faire. Etre capable d'assumer des postes aussi différents l'un de l'autre montre que le métier de préfet ne s'improvise pas, qu'on ne devient réellement efficace qu'avec le temps et l'expérience."
En effet, les deux départements présentent des profils aux antipodes. D'un côté, la Seine-Saint-Denis et ses 236 km² compte quarante communes, près de 1 500 000 habitants dont 35% de moins de 25 ans, une densité de population de 6322 h/km², trois universités, cinq IUT, deux aéroports internationaux, près de 6000 entreprises créées chaque année, mais surtout des problématiques liées à la forte urbanisation du département : délinquance, emploi, logement, problèmes sociaux, "une concentration industrielle de difficultés mais aussi de dynamisme" selon Claude Morel.
De l'autre, la Haute-Marne et ses 433 communes, 186 470 habitants, pour une densité de population de 30 h/km², une part de +60 ans (25,1%) supérieure à celle des moins de 20 ans (23,4%), un solde naturel négatif (-928 personnes/an), un dépeuplement des jeunes, 40% de son territoire couvert par des forêts : "L'épreuve photographique totalement inverse de la Seine-Saint-Denis. Il faut donc une certaine période d'adaptation car on ne passe pas si facilement d'une forêt de tours à des forêts de hêtres."
De ce fait, le rôle de l'Etat, au-delà de ses missions régaliennes, est extrêmement différent dans les deux départements : "En Seine-Saint-Denis, l'Etat et le préfet contiennent la très forte poussée des difficultés et y répondent notamment grâce à cette énorme "machine" qu'est la politique de la ville pour venir en aide à des populations en très grande difficulté vivant souvent au-dessous du minimum vital. En Haute-Marne, il faut accompagner et motiver les populations pour résoudre les problèmes de dynamisme économique, d'emploi, d'attractivité du département, de déclin démographique... L'Etat s'y place alors aux côtés des élus et des organisations professionnelles pour trouver tout ce qui est possible pour aider le département à surmonter ses difficultés."
Très vite, "car les dossiers avancent et ne vous attendent pas", le préfet a été "rattrapé" par les grandes priorités de son nouveau département : schéma de coopération intercommunale, projet de "Parc National des Forêts" projet de centre de stockage de déchets radioactifs HAVL (haute activité à vie longue), axes de développement économique et secteurs à réactiver, disparition des services publics et privés dans le milieu rural, projet de création d'un centre de loisirs et de découverte de la faune et de la flore... "Je n'ai pas été surpris par mon nouveau poste car j'ai été secrétaire général dans l'Isère et en Seine-Maritime et également sous-préfet d'arrondissement à Mirande dans le Gers. J'ai donc déjà côtoyé de près le monde rural." Et de conclure : "L'attente à l'égard de l'Etat est aussi forte en Haute-Marne qu'en Seine-Saint-Denis, avec une réelle inquiétude de la population sur ces problématiques et de grandes attentes de services publics. Dans un cas comme dans l'autre, le préfet est là pour dire les choses, même si cela peut déplaire, et faire évoluer la situation."
La RGPP et la réorganisation territoriale de l'Etat, la redynamisation économique ou encore la sauvegarde des services publics en milieu rural font partie des nombreuses problématiques auxquelles est confronté le préfet Morel dans la Haute-Marne.
Manager les services de l'Etat
Lors de la prise de fonctions du préfet Morel, les nouvelles directions départementales interministérielles (DDI) avaient déjà été mises en place en Haute-Marne, action qu'il avait lui-même accompagnée et pilotée en Seine-Saint-Denis : "Cette réorganisation est un élément fort de la RGPP. Regrouper des services et rechercher ainsi des mutualisations, des économies, rationaliser l'action de l'Etat et la conduite des dossiers, est une démarche très positive qui permet de responsabiliser les agents et de mieux utiliser les compétences de chacun."
De même, le nouveau rôle du préfet de région, coordinateur des actions départementales à l'échelon régional, permet "de mieux se coordonner et répartir les moyens. Le préfet de la région Champagne-Ardenne, Michel Guillot, accorde clairement une grande liberté aux préfets de département, qui le lui rendent bien en l'informant régulièrement sur l'évolution des dossiers pour lesquels il nous laisse complètement la main. C'est une tête de réseau qui anime les préfets et les sous-préfets, laissant chacun s'exprimer librement."
Par ailleurs, les deux sous-préfets de la Haute-Marne se sont vu confier, au-delà de leurs fonctions dans leurs arrondissements respectifs, une ou plusieurs missions aux niveaux départemental et régional. Ainsi, Thilo Firchow, sous-préfet de Saint-Dizier, remplit une mission régionale sur l'économie sociale et solidaire pour laquelle le préfet de région le sollicite régulièrement. Au niveau départemental, Claude Morel lui a confié une mission en matière de politique de la ville. De même, Florence Vilmus, toute nouvelle sous-préfète de Langres, occupe des missions départementales sur le développement rural, le développement économique dans les régions très forestières et la présence postale dans le milieu rural.
Participer à la relance économique
Pour parvenir à cet objectif, trois projets considérables sont en cours de développement dans le département.
- le programme CIGEO, pour l'installation du laboratoire souterrain de l'agence nationale pour les déchets radioactifs (ANDRA) en vue d'implanter un futur centre de stockage de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue sur la zone interdépartementale de Bure-Saudron (Meuse/Haute-Marne) ;
- le futur Parc National des Forêts de plaine, susceptible d'attirer chaque année un demi-million de visiteurs ;
- Animal'Explora, projet phare du département qui envisage la création d'un centre de loisirs et de découverte de la faune et la flore à Châteauvillain, dans le sud de la Haute-Marne.
"Je suis de très près ces trois projets, car ils sont susceptibles d'avoir des impacts économiques et fiscaux très importants pour le département. Ils seront aussi générateurs de créations d'emplois, et auront donc des répercussions avec l'arrivée d'une nouvelle population et la croissance du tourisme local. Trois belles locomotives économiques et touristiques pour l'avenir."
De même, en l'espace de six mois, Claude Morel a visité une vingtaine d'entreprises haut-marnaises. Parmi celles-ci, AESCULAP, filiale du groupe allemand B-Braun, s'est spécialisée dans le développement et la production de prothèses du genou. Cette entreprise - comme plusieurs autres en Haute-Marne - s'est servie du savoir-faire local en matière de forge et de fonderie pour se spécialiser dans cet outillage médical, au point de devenir un acteur mondial incontournable de ce marché, "un exemple et un modèle de reconversion et de réussite pour les entreprises locales et familiales de ce type" d'après le préfet.
Garantir des services publics en milieu rural
Inhérent au milieu rural, la disparition des services publics et privés se traduit en Haute-Marne par un regroupement des services publics, la suppression d'ingénierie territoriale de la DDE au 31 décembre 2011, la désertification dans les villages des médecins, des commerces, des bureaux de poste... "Pour y faire face, nous investissons avec les élus locaux dans le maintien des commerces par des avantages fiscaux, nous avons créé quatre relais service public, des maisons de la santé et avons participé à l'opération "Bistrot de pays", jouant un lien social très important."
De même, l'accès à la culture est une gageure pour les habitants de départements essentiellement ruraux. Luc Chatel, ministre de l'Education et maire de Chaumont, a lancé l'initiative d'accueillir à Chaumont la première étape du "Centre Pompidou Mobile", un musée itinérant conçu pour offrir à tous les publics, et notamment aux personnes les plus éloignées de la vie culturelle, la possibilité d'une rencontre avec les chefs-d'œuvre de l'art moderne et contemporain. Cette infrastructure a été inaugurée le 13 octobre dernier par Nicolas Sarkozy, président de la République, Luc Chatel et Frédéric Mitterrand. Cette démarche s'est révélée comme un véritable défi pour les services de l'Etat locaux. "Le plus difficile a été de faire entrer dans le moule juridique et administratif cette structure originale, composée de trois chapiteaux faits sur mesure pour accueillir des œuvres d'art, dans un concept architectural nouveau, explique Nicolas Regny, directeur de cabinet de la préfecture de la Haute-Marne. Chaumont est la première étape d'un tour de France de cette structure, c'est donc notre préfecture qui l'a agréée et ce, de manière pérenne. Nous avons également du trouver des moyens d'adapter la réglementation incendie, la procédure d'agrément du chapiteau et la mise en place de la vidéo protection." Le résultat de ce travail conséquent est probant puisque ce musée gratuit ne désemplit pas depuis son ouverture.