Lettre de réponse de Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur aux associations qui l’ont saisi le 18 février 2016 sur Calais.
Mesdames, Messieurs les présidents,
Par lettre de ce jour, que vous avez souhaité rendre publique, vous m’interpellez sur le projet de démantèlement de la zone sud du campement de la lande et me demandez de surseoir à cette évacuation. Vous semblez imputer cette initiative de l’Etat au motif exclusif d’un regain de tensions dans le Calaisis. Or quiconque s’intéresse avec cœur à la situation des migrants, et je sais que tel est votre cas, ne peut se satisfaire de la situation que vivent nombre d’entre eux sur la lande. De la même manière, personne ne peut soutenir que ces conditions indignes sont préférables à celles qui sont proposées aux migrants dans le centre d’accueil provisoire que l’Etat a construit et dont la gestion a été confiée à l’association La Vie Active. 1 500 places ont ainsi été créées dans 125 conteneurs de 12 places aménagées offrant l’eau courante, l’électricité et le chauffage.
Un millier de personnes vivent cependant toujours dans la zone Sud, dans les conditions particulièrement difficiles que vous rappelez. Alors que l’Etat s’est mis en mesure d’offrir un hébergement digne à chacune d’entre elles, il ne me paraît pas responsable de vouloir les y maintenir et de permettre la reconstitution d’un tel bidonville.
Cette priorité est au cœur des actions que nous avons conduites, dans un esprit de partenariat, avec l’ensemble des intervenants engagés à Calais. Ce partenariat me tient à cœur et je souhaite qu’il perdure. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons résoudre une situation aussi complexe et délicate, qui touche à des parcours de vie humaine. Le travail conduit sans relâche par l’Etat se déploie sur deux axes indissociables et complémentaires. D’une part renforcer, avec la détermination la plus totale, la lutte contre les passeurs, qui vivent de la misère humaine et se servent des campements comme base arrière pour accomplir leurs méfaits. A cet égard, je rappellerai que 28 réseaux qui agissaient depuis Calais ont été mis hors d’état de nuire par mes services en 2015. C’est deux fois plus qu’en 2014. D’autre part, proposer aux migrants vivant sur la lande une réponse humanitaire. Vous avez contribué très directement à cette action fondamentale. Je veux vous en remercier et vous inviter à ce que nous poursuivions ensemble notre coopération dans cette voie.
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Mesdames et Messieurs les présidents
Secours Catholique – Caritas France, CCFD Terre Solidaire, Médecins du Monde, Emmaüs France, la Cimade, Secours Islamique France, FNARS, ATD Quart Monde.
Vous indiquez dans votre lettre que le dispositif du centre d’accueil provisoire serait insuffisant. J’ai en mémoire les critiques entendues lors de son ouverture : le centre ne serait pas attractif, en raison de la sécurisation de son accès, qui aurait effrayé la plupart des migrants. Un mois et demi après son ouverture, force est de constater que 1 195 personnes l’ont rejoint et que les 80 places ouvertes quotidiennement sont toutes immédiatement pourvues. Le centre a ainsi fait la preuve de son attractivité et les migrants quittent volontiers le froid et la boue pour le rejoindre. Vous indiquez par ailleurs que le centre ne serait pas adapté car il n’offrirait pas de zone de vie. J’observe pourtant que les équipes qui l’animent veillent à créer des espaces de partage très appréciés par les migrants, tels que 3 préaux et 3 espaces de convivialité de 80m² chacun. Deux d’entre eux sont dédiés aux hommes et l’un est réservé aux familles où des jouets et des tapis de sol sont à disposition des enfants. Une nursery va prochainement ouvrir. Des améliorations sont certainement possibles pour offrir aux migrants davantage de lieux de socialisation dans le nord de la lande. Je suis à l’écoute de toute proposition que vous voudriez formuler et dont nous pourrions discuter.
S’agissant des centres d’accueil et d’orientation, ainsi que vous le savez, 102 de ces centres ont été ouverts sur l’ensemble du territoire depuis le 27 octobre dernier. Ils constituent autant de petites unités d’accueil, à taille humaine, qui offrent toutes un accompagnement associatif de qualité dans un lieu convivial dans lequel ils sont accompagnés sur le plan social et dans leurs démarches administratives. Ce dispositif fait l’objet d’un pilotage étroit, exercé par mes soins avec la plus grande attention, auquel je suis entièrement disposé à vous associer. Je veux ainsi vous indiquer que deux instructions ont été publiées sur le fonctionnement des CAO, que mes services réunissent hebdomadairement l’ensemble des préfets de région pour faire naître des projets et discuter de leur mise en œuvre, et que chaque semaine des enquêtes de suivi des personnes orientées sont réalisées. A ce jour, 2 665 personnes ont été orientées vers des CAO depuis Calais et Grande-Synthe. Ces 2 665 orientations s’ajoutent aux 1 600 départs effectués depuis Calais vers des CADA ou AT-SA en un an. Depuis un an, ce sont donc plus de 4 200 personnes qui ont ainsi pu bénéficier d’une orientation dans un lieu adapté à leur prise en charge.
S’agissant plus particulièrement des migrants orientés en CAO, un suivi particulier des trajectoires des personnes qui y sont accueillies est effectué par l’ensemble des services de l’Etat, au plan central comme au plan local, en veillant à leur proposer des parcours aussi fluides que possible. La mise en place de chaque centre a fait l'objet d'un suivi spécifique par les préfectures (qui ont toutes mandaté, à ma demande, des coordonnateurs départementaux dédiés à cette tâche), afin de garantir que l'accueil ne se limite pas à une mise à l'abri mais offre des prestations suffisantes, et pour que la création de ces structures se fasse en bonne intelligence avec les élus locaux. Le coût à la place de ces centres est élevé, souvent supérieur à 25 euros par jour et par personne, car je crois que la qualité de l’accompagnement est l’une des clés de leur réussite. Les premiers retours d’expérience sont positifs : la très grande majorité des migrants présents en CAO effectue une demande d’asile en France. Au dernier recensement, plus de 80% des migrants encore présents en CAO étaient engagés dans une démarche d’asile. Ces CAO permettent à des migrants ayant acquis le statut de réfugié d’obtenir une orientation vers des lieux de vie adaptés à la protection que leur doivent les autorités françaises. Le taux de départ des migrants des CAO est faible (inférieur à 20% quel que soit le mode de calcul) et probablement inévitable dans des structures de ce type, même si nous veillons à ce qu’il soit le plus limité possible. Ces centres vous sont ouverts : je vous invite à venir visiter l’un d’entre eux à votre convenance pour vous rendre compte par vous-mêmes de la réalité de leur mise en œuvre.
Je rappellerai également l’effort inédit que l’Etat a engagé pour orienter aussi vite que possible les demandeurs d’asile vers l’hébergement qui leur est dédié. A cet égard, le gouvernement réalise en ce moment un effort sans précédent pour l’hébergement des demandeurs d’asile, avec la création de 13 630 places de CADA, de 4 000 places d’AT-SA sur deux années et de 500 places de centres provisoires d’hébergement (2015 et 2016). Les migrants de Calais en bénéficient naturellement, dès lors qu’ils s’engagent dans une démarche d’asile en France.
J’ai également demandé à mes services de transmettre systématiquement aux autorités britanniques des dossiers de migrants présents en CAO qui pourraient bénéficier d’une entrée légale au Royaume Uni au regard notamment de leurs attaches familiales, dans le respect des règlements européens. Je veillerai à ce que l’ensemble des dossiers transmis selon cette procédure puisse faire l’objet d’un examen bienveillant.
La situation sur la lande ne peut perdurer. Les hommes et les femmes qui y survivent, après des parcours de vie particulièrement traumatisants, méritent mieux que la vie sous une tente ou dans un cabanon, dans l’attente illusoire du passage vers le Royaume-Uni que leur ont promis les passeurs qui les ont rançonnés. Nous devons, ensemble, continuer à œuvrer pour leur offrir des solutions dignes et l’opportunité de reconsidérer leur projet de vie.
L’évacuation de la zone sud doit être menée à bien. Elle le sera de façon progressive, dans le respect des personnes, en tenant compte de chaque situation individuelle et en proposant des orientations vers le centre d’accueil provisoire, les centres d’accueil et d’orientation ou l’un des dispositifs réservés aux personnes vulnérables, en fonction des situations et donc des besoins de chacun.
Je vous prie d’agréer, Mesdames et Messieurs les présidents, l’assurance de ma considération distinguée.
Bernard CAZENEUVE