Pour anticiper les phénomènes de violences urbaines, le SDIS, la DDSP et la préfecture de Loire-Atlantique ont cosigné un protocole de coordination opérationnelle des interventions dans les quartiers sensibles. Entretien croisé entre Philippe Cussac (DDSP), Philippe Berthelot (DDSIS) et Patrick Lapouze, directeur de cabinet de la préfecture.
L'idée de mettre en place cette procédure d'intervention sur les secteurs difficiles de certaines agglomérations est née en région parisienne. La problématique de violences urbaines y est beaucoup moins importante à Nantes et en Loire-Atlantique. Pour autant, il y a parfois des violences sur certains secteurs, et il nous a semblé important, avant qu'une situation ne dégénère et que l'on tombe dans une spirale infernale, de parvenir à nous coordonner avec nos collègues de la police. L'objectif est que l'action de retour au calme soit une action commune, intelligemment coordonnée, de façon à éviter que les sapeurs-pompiers ne se retrouvent à un moment donné dans une situation de guet-apens ; et qu'ils demeurent en sécurité pour intervenir.
Cela traduit un souci d'exemplarité. Le département de Loire-Atlantique est le deuxième département de la zone Ouest en termes de violences urbaines. Nous ne sommes pas confrontés à des actes d'une extrême gravité mais il est important de réfl échir à des protocoles d'intervention. Il demeure important de s'entraider et de s'entraîner mutuellement.
Effectivement, la situation actuelle n'est pas particulièrement tendue mais demande tout de même une forte vigilance. Nous avons récemment connu une forte poussée de phénomènes d'incendies, notamment de véhicules, qui a nécessité de nombreuses interventions du SDIS et qui justifiait donc cette approche particulière et la mise en place de ce protocole.
Le but principal est de sécuriser les intervenants. On peut parfois être impressionné par une situation qui ne prête pas forcément à conséquence. Nous avons donc gradué le niveau d'alerte : vert, orange, rouge. En vert, la situation est normale et un rassemblement de quelques individus ne signifie pas systématiquement un début d'émeute. Nous n'avons donc pas à changer nos méthodes de travail. Nous intervenons normalement de notre côté en tenant informée notre chaîne de commandement.
En période orange, le clignotant est déclenché, la vigilance accrue. Si nous constatons le moindre attroupement au moment de s'occuper d'une victime, nous attendons les collègues de la police avant toute action non vitale.
En période rouge, la situation est très tendue. C'est alors un phénomène avéré de violences urbaines. Dans ce contexte, les secours n'interviendront jamais seuls. Nous nous mettrons à la disposition des forces de police. Ce cas de figure est une exception dans les opérations de secours, car leur commandement appartient habituellement au SDIS, à moins que le préfet n'en décide autrement, comme le prévoit la loi sur la sécurité civile, qui permet de se mettre à disposition des forces de l'ordre pour que l'action publique soit orientée en priorité sur le rétablissement de l'ordre.
Au regard d'éléments partagés, nous avons classé des quartiers en « zones violences urbaines », en fonction des risques de déclenchement de tels événements mais aussi des risques liés à leur conception même. Ces zones particulières font l'objet d'une cartographie partagée entre les forces de l'ordre et le SDIS, sur laquelle sont reportés les points de rassemblement des moyens potentiels. Cette cartographie est réalisée conjointement par nos services et ceux du SDIS à des fins d'exploitation opérationnelle partagée, et mise à disposition de la gendarmerie, également signataire du protocole mais moins concernée par le phénomène. La connaissance du terrain nous permet d'adapter notre méthodologie opérationnelle en fonction de la zone d'intervention.
Parmi les phénomènes de violences auxquels nous sommes confrontés, tout ce qui touche aux représentants du service public est particulièrement sensible. C'est vrai des forces de l'ordre, mais aussi des services de secours. Nous souhaitons absolument garantir leur intégrité. Ces démarches, qui visent à faire face à des situations exceptionnelles, ont le plein soutien du préfet, car si les secours ne peuvent remplir leurs missions en toute sécurité, nous aurons un vrai souci dans le cadre du contrat social et républicain.
Nous avons été confrontés à un phénomène croissant d'incendies de véhicules, avec un pic en janvier 2010 de 128 véhicules incendiés dans la circonscription de Nantes. Nous avons aussitôt réagi en créant en mars suivant la CLIVA, une cellule composée de cinq fonctionnaires venus de la BAC, de la brigade des violences urbaines, du groupe d'appui judiciaire et un dernier élément formé au renseignement. En 2010, après enquêtes sur 870 incendies de véhicules, la CLIVA a interpellé et mis en cause près de 150 individus. Cette cellule s'appuie sur d'éventuels témoignages, mais également sur les travaux de la PTS (prélèvement de traces sur les scènes d'incendie) et sur la vidéosurveillance.
Hormis leur aspect répressif, ces interpellations ont également eu un rôle dissuasif évalué sur une baisse conséquente des incendies de véhicules. Cette baisse s'est accrue depuis le début 2011, avec plus de 45 % de baisse d'incendies de véhicules entre janvier et avril.
Il faut savoir que ces incendies volontaires ont un coût important. Nous estimons à 6,2 M€ le préjudice des véhicules incendiés en 2010 et à 1,438 M€ celui qui résulte de la propagation du feu sur les habitations, les commerces, les garages, etc.
Les résultats de la CLIVA, avec des chiffres divisés par deux, sont remarquables. L'initiative montre que lorsqu'on investit sur une problématique donnée, sur le moyen terme, en dédiant des gens et des moyens, on arrive à cerner et à infléchir un phénomène.
Le travail de la CLIVA nous permet d'avoir une vision bien plus claire de ce phénomène, notamment en identifiant le profil des auteurs. Qui sont-ils ? Pourquoi mettent-ils le feu ? Nous avons ainsi constaté que les incendiaires ne sont pas issus uniquement des quartiers sensibles (53 % seulement des mis en cause) et qu'ils ne sont pas majoritairement des personnes mineures (37 % des mis en cause). Du côté des antécédents, pas de surprises : 78 % sont connus des services de police.
Du côté du SDIS, cela fait quasiment deux ans que nous nous intéressons à l'investigation post-incendies. Notre objectif est de rechercher les circonstances et les causes de l'incendie dans un but de retour d'expérience et non judiciaire. Nous allons monter une formation d'expertise, notamment pour essayer de déterminer quelles peuvent être les raisons de la mise à feu d'un véhicule ou les conditions de propagation d'un feu sur les véhicules, s'il a été allumé à l'essence ou autre, ou s'il est accidentel. Cette formation sera mise au point par notre cellule investigation postincendies, à destination également des collègues de la Police nationale.
Cette démarche est, en définitive, un bon exemple de coopération entre services. Outre son efficacité directe, elle permet aux différentes composantes d'avoir des échanges qui enrichissent leurs métiers respectifs. Des échanges d'expériences en découlent. Grâce à l'expérience des pompiers, les forces de l'ordre apprennent des choses sur la problématique des incendies ; inversement, les pompiers qui interviennent dans un lieu hostile acquièrent le « vernis » de la culture d'ordre public nécessaire à leur intervention en toute sécurité.