L’heure passe, la justice demeure

L’heure passe, la justice demeure

« Hora fugit, stat jus » est sa devise. Sur fond de Terre bardée de barbelés, une épée et une balance frappées de la flamme de la Gendarmerie nationale symbolisent l’action de l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), créé en 2013 pour enquêter sur les crimes internationaux les plus graves. Derrière les symboles qui ornent son écusson, l’OCLCH contribue à la paix et à la sécurité internationales, et à la protection des populations et du territoire. Chargé également de la lutte contre les crimes de haine, il participe à la protection de la dignité humaine et au renforcement de la cohésion nationale.

Un dossier de Jacques Prévot

Illustrations : Florian Cnudde


Un office contre l’impunité des crimes les plus graves

Génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre, torture, disparition forcée... aucun des contentieux contre les plus grands criminels ne doit rester impuni. Dans le concert des nations, la France a pris sa part : elle s’est dotée d’un office central de police judiciaire chargé, en lien avec le parquet spécialisé du tribunal de grande instance de Paris, de la lutte contre les crimes internationaux les plus graves.

Créé par un décret du 5 novembre 2013, l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) est le 14e office central de police judiciaire, et le 4e office rattaché à la sous-
direction de la police judiciaire de la direction générale de la Gendarmerie nationale. « Sa création a été accélérée par la nécessité de sanctionner ces crimes qui sont punis par le Code pénal français, le refus unanime de l’impunité de ces criminels sur le sol français, et l’entrée en vigueur du Statut de Rome, le 1er  juillet 2002 », explique le colonel Éric Émeraux, chef de l’office depuis le 1er septembre dernier. Ce traité, qui crée officiellement la cour pénale internationale (CPI), fait en effet obligation aux États parties, dont la France, de coopérer et d’assurer une assistance judiciaire dans la répression des génocides, des crimes contre l’humanité, des crimes d’agression et des crimes de guerre. « Pour autant, la France n’a pas attendu cette échéance pour s’investir sur ce type d’enquêtes, rappelle le patron de l’OCLCH. Après la seconde guerre mondiale, la Gendarmerie nationale, et plus particulièrement la section de recherche de la gendarmerie de Paris, s’est vue confier des enquêtes sur ces crimes internationaux commis pendant cette période. À la suite des événements tragiques de l’ex-Yougoslavie, du Rwanda ou du Cambodge, et des procédures dont la justice française a été saisie, la gendarmerie a poursuivi sa mission. » Parmi ces procédures, on se rappellera l’enquête sur les crimes commis par l’ancien chef de la milice de Lyon, Paul Touvier, et sa traque, qui s’achevèrent par sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité prononcée en 1994 par la cour d’assises de Versailles.

Le mouvement international en faveur de la lutte contre l’impunité s’est traduit par la création des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (1993) puis pour le Rwanda (1995), et de la cour pénale internationale. En 2007 est née l’idée de créer un office central de police judiciaire dédié aux atteintes les plus graves à l’humanité et à la dignité des personnes au sein de la sous-direction de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale. Celui-ci sera définitivement institué en 2013.

De larges compétences...

Opérationnel depuis février 2014, l’OCLCH est chargé de diligenter, d’animer et de coordonner, à l’échelon national, les enquêtes de police judiciaire menées dans le cadre de la lutte contre les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre. Il est également en charge des crimes de torture, tels qu’ils sont définis dans la convention de New York ratifiée en 1984, et des crimes de disparitions forcées. En outre, l’office est également compétent pour les crimes ou délits complexes qui ont été commis contre une ou plusieurs personnes en raison de leur appartenance à une prétendue race, une nation, une ethnie, une religion, une orientation sexuelle ou une identité de genre.

Sa compétence s’exerce aussi bien lorsque la ou les victimes sont françaises que lorsque les auteurs, coauteurs et complices présumés de l’une des infractions énoncées sont soit Français, soit étrangers susceptibles de se trouver ou de s’être trouvés sur le territoire national.

« À l’instar des autres offices centraux de police judiciaire, nous sommes tenus d’analyser et de diffuser les informations relatives à notre contentieux, explique Éric Émeraux. À ce titre, l’office constitue, pour la France, le point de contact central des échanges internationaux de coopération policière relevant de sa compétence et collabore étroitement, outre bien sûr avec les services de police et les autorités judiciaires étrangères, avec l’Organisation des Nations unies (ONU) et ses agences (haut-commissariat pour les réfugiés et haut-commissariat aux droits de l’homme), avec l’organisation internationale de police criminelle (Interpol), le réseau européen "Génocides" d’Eurojust, ou encore le point focal "crimes de guerre" de l’agence européenne des services répressifs (Europol). »

Dans le cadre de ses missions, l’OCLCH travaille également avec l’ensemble des services opérationnels de police judiciaire comme les sections de recherche, le service technique de renseignement judiciaire et de documentation (STRJD) ou encore l’institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN). « Nous bénéficions, bien sûr, des techniques spéciales d’enquêtes comme des sciences forensiques, c’est-à-dire l’ensemble des connaissances et méthodes informatiques légales qui permettent de collecter, conserver et analyser les preuves issues de supports numériques en vue de les produire dans le cadre d’actions en justice », précise le chef de l’office.

Illustration perquisition

... et de nombreux partenaires

Les échanges s’étendent aussi à d’autres partenaires institutionnels comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), l’organisme du ministère de l’Économie et des Finances chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme, ou encore l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), l’établissement public chargé d’assurer en France l’application des engagements internationaux de la France concernant la protection des réfugiés. « À ce titre, nous suivons les dossiers sensibles des personnes dont les autorités ont de sérieuses raisons de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, suivant les dispositions de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, et pour lesquels des renseignements ont été transmis au procureur de la République en application de l’article 40 du Code de procédure pénale », prévient le colonel Émeraux qui souligne le rôle important que joue l’office en matière de retour en sécurité intérieure sur le territoire national.

D’autres rapprochements sont, directement ou indirectement, opérés, notamment avec les services de renseignement, ou encore avec certaines organisations non gouvernementales qui traquent les criminels de guerre. « Certaines, très impliquées sur le terrain, font un travail formidable, souligne le patron de l’OCLCH. Elles apportent une précieuse contribution à la Justice en effectuant des signalements ou en facilitant le recueil de la preuve. »

L’ensemble du portefeuille géré par l’OCLCH est suivi par le pôle spécialisé du tribunal de grande instance de Paris, créé en 2012 et chargé des crimes contre l’humanité, les crimes et les délits de guerre (section AC5). Par l’intermédiaire de ce pôle, l’office coopère ainsi avec les juridictions pénales internationales ou étrangères dans le cadre des demandes d’entraide adressées à la France sur le fondement des accords internationaux, ou émises par les autorités judiciaires françaises. Quand une demande d’entraide pénale est adressée aux autorités judiciaires françaises, les magistrats du pôle spécialisé saisissent l’OCLCH qui diligente l’enquête. Une fois les actes réalisés et consignés, la  procédure est renvoyée aux autorités judiciaires étrangères mandantes.

Pour Éric Émeraux, « si les saisines de l’office portent encore sur des dossiers relatifs au génocide rwandais, pour lesquels les enquêteurs de l’office sont conduits à se rendre régulièrement sur place afin d’y poursuivre des investigations, les contentieux s’étendent dorénavant aux quatre coins de la planète, de l’Érythrée au Liberia, en passant par la République Centrafricaine et, bien évidemment aujourd’hui, l’Irak et la Syrie ».

Outre les enquêtes qui sont ouvertes par la justice pénale française, l’office apporte régulièrement son concours et son assistance dans le cadre des enquêtes de la cour pénale internationale (CPI), du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPI-Y) et du tribunal pénal international pour le Rwanda (TPI-R). Son expertise est d’ailleurs régulièrement sollicitée pour des missions de formation en analyse criminelle au profit des enquêteurs de ces juridictions internationales.

L’OCLCH s’est également investi dans la traque des fugitifs, frappés par des demandes d’arrestation aux fins de remise pour des crimes entrant dans son champ de compétence. Enfin, au niveau national, l’office travaille avec les différents acteurs publics impliqués dans la défense des droits de l’homme : la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

« Crimes internationaux les plus graves »... qu’est-ce que c’est ?

Génocide (art. 211-1 du Code pénal) : atteinte volontaire, en exécution d’un plan concerté, à la vie ou soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle d’un groupe ethnique, national, racial ou religieux.

Crime contre l’humanité (art. 212-1 du Code pénal) : atteinte volontaire à la vie, réduction en esclavage, viol, prostitution forcée, torture, commis en exécution d’un plan concerté et à l’encontre d’une population civile et dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.

Crime et délit de guerre (art. 461-1 à 462-11 du Code pénal) : homicide volontaire, viol, destruction d’un établissement scolaire ou d’un édifice religieux, ou un délit commis dans le cadre d’un conflit armé, interne ou international, à l’encontre des biens ou personnes protégées par le droit international humanitaire.

Crime de torture (Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984) : acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne à certaines fins, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

Crime de disparition forcée (art. 221-12 du Code pénal) : arrestation, détention, enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi.


Un office au service de la Justice

En matière de répression des crimes internationaux les plus graves, l’OCLCH enquête à la demande de la section AC5 du parquet de Paris, créée en 2012 et chargée des crimes contre l’humanité, des crimes et des délits de guerre. Aurélia Devos, vice-procureur, dirige cette section du parquet au sein de ce pôle spécialisé du tribunal de grande instance de Paris qui comprend également trois juges d’instruction.



La traque, par tous les moyens

Confrontés aux pires exactions que l’être humain puisse commettre, les 19 agents de l’OCLCH, gendarmes et policiers, déploient tous leurs talents de fins limiers pour traquer les auteurs et les complices des crimes internationaux les plus graves.



Crimes de haine : lutter contre l’intolérance

Outre les crimes de masse, l’OCLCH est également compétent en matière de crimes racistes, antisémites ou homophobes, pour lesquels les enquêtes requièrent une certaine technicité. En permettant la répression de ces crimes de haine, il contribue aussi au renforcement de la cohésion nationale, et à la protection de la dignité humaine.