19.09.2005 - Ouverture du Colloque "La laïcité française dans son contexte international : singularité ou modèle ?"

19 septembre 2005

Intervention de M. Nicolas Sarkozy,Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire - Ouverture du colloque "La laïcité française dans son contexte international : singularité ou modèle ?" Académie des science morales et politiques à Paris


Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président de l'Académie des sciences morales et politiques,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous demander une première autorisation : celle de m’abstenir de lire le discours qui m’a été préparé. Chacun y trouverait sa part de vérité : c'est un discours fait pour ne gêner personne et, en conséquence, il ne ferait ni reculer ni avancer la question. Si vous le permettez, je voudrais vous parler librement de ce qu'est le cœur de mes convictions, sur un sujet absolument essentiel pour la société française. Je voudrais donc que vous ne me teniez pas rigueur, dans ce temple de la précision, des quelques approximations d’une parole libre. Cette parole libre est un témoignage de respect à l'endroit de l’institution qui est la vôtre ; c'est aussi un témoignage de la volonté qui est la mienne d’apporter un peu d’authenticité dans un monde politique qui en a bien besoin. Et si nous, les responsables politiques, nous disions ce que nous pensons ? Non pas en fonction ce que nous croyons être l’état d’esprit de l’opinion, mais des convictions qui sont les nôtres.

La première remarque que je voudrais faire touche à  la nature de la loi de 1905. Je suis assez fasciné par le fait que, alors même que l’on change la Constitution tous les ans, voire plusieurs fois par an, il existe une école de pensée qui viendrait à dire que la loi de 1905 ne doit être touchée en rien et pour rien, tant l’édifice est parfait. Ne touchons à rien, en quelque sorte ne modifions pas les colonnes du temple, sans savoir où se trouve le temple et s’il a des colonnes.
         
La loi de 1905 est une bonne loi. Plus exactement : elle l’est devenue. Car je ne suis pas sûr que, à l’origine, elle ait été faite pour être une bonne loi. On peut même dire le contraire, puisqu’elle a été adoptée dans un climat de combat alors que nous sommes, un siècle plus tard, dans un climat d’apaisement. Raison de plus, d’ailleurs, pour considérer que ce climat d’apaisement tient davantage à la sagesse de nos compatriotes qu’au texte lui-même, qui fut à l’origine un texte de combat et qui est vécu aujourd’hui comme un texte d’apaisement. Ne lui faisons donc pas dire ce qu’il n’est pas. Ce serait une erreur, me semble-t-il, historique.

Quand bien même d’ailleurs ce texte eût été parfait il y a un siècle, qui ne voit qu’en un siècle la France a changé ? Ce qui était parfait juridiquement peut parfaitement nécessiter des adaptations ! Or j'observe – et c'est extraordinaire – le refus de même parler des adaptations nécessaires. Les uns refusent d'en parler par peur, ce qui n’est pas un sentiment illégitime, s'il s'agit de la peur de réveiller des affrontements religieux. Pour d'autres, le refus n'est pas sans  arrières pensées. J’y reviendrai mais je veux d’abord m'exprimer en tant qu’ancien législateur, élu député pour la première fois en 1988. 
         
Les textes peuvent être adaptés sans que soit, le moins du monde, brisé le consensus autour d’eux ou l’état d’esprit qui a présidé à leur inscription dans la réalité juridique française au moment où ils ont été votés. Réfléchir aux nécessaires adaptations d’un texte, ce n’est pas remettre en cause l’esprit du texte. J’ajoute que si le texte est si fort qu’on le dit, il peut supporter un toilettage – ou alors, il n’est pas si fort qu’on le dit.

Soit il est incontournable et dans ce cas il est indestructible. Soit il n’est si pas incontournable que cela et dans ce cas n’y touchons pas – car sinon on fait écrouler la maison. Comme je pense que la loi de 1905 est un bon texte, un texte fondateur, un texte important, un texte solide, il n’y a aucun problème à en discuter certaines des modalités d’application. Justement parce qu’il est fort, justement parce qu’il est équilibré. Affirmer qu'il ne faut le toucher en rien, c’est affecter le texte fondateur de 1905 d’une fragilité que je conteste. C’est une première remarque mais comme je ne suis pas sûr que nombreux seront ceux qui défendront cette idée, j’ai tenu à la défendre moi-même. Elle n’est pas paradoxale.          

Je ferai une deuxième remarque qui me tient très à cœur et qui est au fond de mes convictions – alors même que je dois préciser que je ne suis pas un pratiquant régulier et que je n’ai aucune leçon à donner en ce domaine. Mais la question des religions m’intéresse.

La question des religions est fondamentale. Qu’est ce qu’un homme ou une femme qui croit ? Ce n’est pas une petite question. C’est un homme ou une femme qui espère. Le droit à l’espérance est un droit essentiel pour l’être humain, condamné à l’ignorance. La réflexion sur le sens de la vie et de la mort n’est pas du domaine de la République. La République s’occupe du temporel, les religions s’occupent du spirituel, de la question spirituelle depuis que l’homme a conscience que son destin singulier est une question essentielle.

En quoi, Mesdames et Messieurs, le droit à l’espérance serait-il, si peu que cela soit, contraire à l’idéal républicain ?       

La question mérite d’être posée, pas simplement par rapport à la loi de 1905. Simplement par rapport à la vie et à la mort. Quel sens donner à la vie ? Et la mort, quelle est sa place ? S’interroger, comme chacun d’entre nous le fait lors de l’enterrement d’un de ses amis ou d’un membre de sa famille, sur le destin de l’homme, est-ce être un mauvais Républicain ? Se poser la question de savoir si la vie s’arrête avec la mort, est-ce remettre en cause les fondamentaux des idéaux républicains ? N’est-ce pas naturel, pour des hommes qui ignorent tout, de savoir si la vie est un hasard ou s'il y a un organisateur à tout cela ?            

On a souvent sous-estimé l’importance de la question spirituelle dans le débat politique français. On a privilégié d’autres questions – la question sociale, importante, la question sociologique, importante – mais la question du sens de la vie n’est pas une petite question. Les religions sont là pour aider l’homme à apporter une réponse. Et cette réponse est, au fond, le droit à l’espérance. Qu’est-ce que cherchent les hommes et les femmes qui croient, totalement, partiellement ou de temps en temps ? Ont-ils le droit à l’espérance ? Ce n’est pas rien : c’est peut-être le droit de l’homme le plus important. Toutes les religions affirment que l’homme a le droit d’espérer.

J'en viens à ma troisième remarque : la loi de 1905 n’est pas une loi de prohibition, elle est une loi de liberté. Il est capital de comprendre cela.

Il y a quelques années, un ancien ministre, dont je ne citerai pas le nom, prétendait qu'au nom de la loi de 1905 il était interdit de rentrer dans une église. Baliverne, erreur totale, contresens parfait ! Au nom de la loi de 1905, le ministre doit rentrer dans une église, dans une synagogue, dans un temple, dans une mosquée. A égalité de traitement, pour les uns comme pour les autres. Prétexter de la loi de 1905 pour refuser de rentrer dans un lieu de culte, c’est vraiment ne rien avoir compris à l’esprit de la laïcité à la française. 
           
Qu’est-ce que c’est la laïcité à la française ? C’est une loi qui reconnaît un droit. Le droit de croire, de vivre sa foi et de le transmettre à ses enfants. C’est cela la laïcité à la française ! C'est aussi le droit de ne pas croire. A égalité de traitement, pour les uns comme pour les autres. Ce n’est pas une interdiction, la laïcité à la française. D’ailleurs, si les religions étaient si peu importantes et si le droit de croire n’était pas quelque chose de fondateur, alors pourquoi faire une loi ? Cette loi garantit un droit jugé fondamental, comme le droit de manifester, de s’exprimer, le droit de croire, de vivre sa religion, de la pratiquer, de la transmettre à ses enfants. C’est cela la laïcité à la française ! 
       
La loi de 1905 est une loi de liberté qui a apaisé, parce qu’elle a reconnu des droits et parce qu’elle a organisé une séparation respectueuse entre l'Etat d’un côté, qui s’occupe du temporel, les religions de l’autre, qui s’occupent du spirituel. Je n’ai pas cette vision de combat, celle d’une laïcité sectaire qui affirmerait que la loi de 1905 est censée protéger la société civile de la mainmise de la religion sur elle. Pauvres religions : elles n’en n’ont ni la force, ni l’ambition. Et faut-il mal connaître les religions en France, pour penser si peu que ce soit, qu’il y a une menace d’un pouvoir religieux sur la société française.
       
J’ajoute, car cela me tient à cœur, une interrogation. Qu'était la France profonde au début du siècle précédent ? C’était la France des campagnes. Qu’est-ce que la France profonde au début du XXIème siècle ? C’est la France des banlieues. La France profonde, c’est la France où les Français habitent. Ils habitaient dans les campagnes il y a un siècle ; aujourd’hui ils habitent dans les banlieues. Quelle est la différence ? Il y a un siècle, il y avait les instituteurs, qui faisaient un travail remarquable. Et il y avait le curé. Même dans les familles où on ne croyait pas, on allait à la communale, puis on allait au catéchisme et on vous donnait quelques éléments sur ce qu’était le bien et ce qu’était le mal. Certes, on se disait : « ce n'est pas sûr que ça marche mais ça servira peut-être à quelque chose ! ».

Oui, la religion catholique a joué un rôle dans l’enracinement des sentiments républicains de la France du début du XXème siècle.  Oui, l'Eglise a contribué, aux côtés de la communale, aux côtés des instituteurs, à créer des citoyens conscients des enjeux et sachant distinguer le bien du mal. En tout cas, elle a contribué à créer une morale qui n’était pas toujours à dominante religieuse mais qui faisait que, vaille que vaille, dans toutes les familles, on vous donnait un certain nombre de règles à appliquer votre vie durant. 
       
Et dans ce climat d’affrontement, peut-être même sans le savoir, l’instituteur et le curé dans les villages faisaient un travail commun, au service de l’émergence d’une génération de citoyens. Peut-être est-ce une vision heureuse de l’histoire de mon pays ; mais enfin, tout ceci avait un sens. Si vous regardez un siècle plus tard ce que sont devenus certains de nos quartiers, qu’est-ce qui frappe ? Ce sont devenus des déserts : désert culturel, désert cultuel, désert du service public. 
       
Il ne reste qu’une institution : la télévision. Comment ne pas s’interroger lorsqu'on voit certains jeunes, perdus, considérer la vie comme un bien de consommation, qui n’a pas plus de sens qu’un autre ? Comment ne pas être frappé de voir que l’unicité de la vie et le respect qu’on lui doit ont disparu de certains de nos quartiers abandonnés ? Pourquoi ? Parce qu’on ne parle plus de la vie, de son sens, de sa fragilité, du respect qu’on lui doit. Parce qu'on ne dit plus que la vie n’est pas un bien comme les autres.
       
Pourquoi ? Peut-être parce qu'ont disparu des lieux de rencontres, des lieux d’échanges, des lieux d’apaisement, des lieux où l'on explique que la vie va au-delà, qu'elle ne nous appartient pas et qu'elle est respectable. Il y a toujours l’instituteur, qui fait d’ailleurs un travail remarquable, mais souvent il est seul. Des lieux de lumière, au sens des lieux de rencontre, il y en a si peu. Je ne suis pas sûr, de ce point de vue, Monsieur le Président, que cela marque un grand progrès de notre société. 
       
C'est là l'idée paradoxale qui est la mienne : je ne vois pas les religions comme l’adversaire de la société d’aujourd’hui. Je ne vois pas les religions comme une menace. Je les vois plutôt comme un facteur d’apaisement. Car elles expliquent que l’espérance existe et que ce que l'on fait dans la vie, cela compte !
       
 J’admets bien volontiers que cette vision est une vision rarement défendue. Je me demande encore pourquoi. Car on confond les religions et l’extrémisme. On confond le fondamentalisme et l’intégrisme. Et, selon l’expression populaire, « on veut jeter le bébé avec l’eau du bain ». Parce que, quelque part dans le monde, il existe des intégrismes et de l’intégrisme, on voudrait salir l’ensemble des religions. J’affirme au contraire qu’à l’intérieur de la République – et c’est bien pour cela qu’il y a une laïcité à la française – le droit de croire et les religions ont un rôle à jouer. Un rôle d’apaisement.
       
Alors, c'est curieux que je le dise, moi-même qui ne suis au service d’aucune église, même si culturellement j’appartiens à l’église catholique de France, tout en n'étant pas un pratiquant régulier : parfois, je suis inquiet, je le dis aux représentants des églises, de voir qu’eux-mêmes ont tant de mal à faire entendre leur voix. Pas toujours parce qu’on ne les écoute pas. Parfois parce qu’eux-mêmes parlent trop bas. Pourquoi parlent-ils si bas ? Parce qu’ils ont tellement été attaqués. Et parce qu’ils pensent que le dicton « vivons heureux, vivons cachés » est parfois le bon. 
       
Et puis il y a eu un changement considérable : la France du début du XXème siècle, la France de 1905 était catholique. Elle l’était cultuellement, elle l’était culturellement, on peut même dire d’une certaine façon qu’elle l’était politiquement. Eh bien, la France de 2005, elle n’est pas catholique, elle est majoritairement catholique, mais elle est multiple. Et cela, c'est une nouveauté considérable. Lorsqu’on me dit : « ne touchons pas à la loi de 1905 », je m'interroge : la France de 2005, c’est la France de 1905 ? La différence est que, un siècle après, se trouvent en métropole cinq millions de musulmans français.

Doit-on considérer que les derniers arrivés, la dernière religion de France, la seconde par le nombre, doivent s’adapter à la loi de 1905 et que nous ne devons pas considérer qu’il a une spécificité ? La spécificité, c’est que les musulmans pratiquants de France ont moins de moyens que n’en avaient les catholiques de France, les protestants de France ou les juifs de France. Il y a des raisons historiques à cela : ils sont les fils et les petits-fils de ceux qui sont venus construire nos routes ou fabriquer nos voitures. Cette communauté-là, au sens de communauté cultuelle, a moins de moyens. Comme elle n’a pas de moyens et qu’on ne lui en donne pas, elle doit se tourner vers l’étranger, dont l’influence est négative.

Qu'est-ce que j’ai voulu faire, Monsieur le Président ? Tout simplement, faire émerger un islam de France parce que je refuse l’islam en France.

Ce n’est pas une petite différence, ce n’est pas un petit enjeu. C’est un enjeu considérable, qui repose sur une conviction maintes fois affirmée de ma part et qui trouvera peut-être, dans cette Académie, un certain écho : une identité humiliée, c’est une identité radicalisée.

Reconnaître des droits pour pouvoir imposer des devoirs, n’est-ce pas le message de la République ? Mais quels sont les droits lorsque les imams viennent à 95% de l’étranger, parce qu’il n’y a pas de formation d’imams en France ? Quels sont les droits, lorsque pour édifier une mosquée il faut dépendre du financement de l’étranger ? Quels sont les droits, lorsque les problèmes que nous avons viennent des caves et des garages ?

J’ai voulu donner aux musulmans de France une instance représentative. Cela n’a pas été facile ! Certains dirigeants de certaines religions m’en ont voulu. Je n’ai toujours pas compris pourquoi. Il paraît que, selon certains, j’avais été trop autoritaire. Honnêtement, un peu d’autorité dans notre société, c’est si rare ! Qu’on me laisse cette originalité. J’ajoute que si je n’avais pas fait preuve d’un certain volontarisme, chacun sait que cela ne se serait pas fait. Il n’y aurait pas de CFCM. Il n’y aurait pas de CRCM. Ne soyons pas hypocrites, les uns les autres ! Cela s'est fait parce que je l’ai profondément voulu, parce que j’ai imposé cette unité, que les musulmans de France étaient au rendez-vous. C’est vrai : j’ai passé 48 heures enfermé à Nainville-les-Roches. Eh bien, cela valait le coup ! Car aujourd’hui, personne ne conteste l’utilité du CFCM.
       
On aimait parler de l’instance représentative des musulmans de France quand elle n’existait pas. Maintenant qu’elle existe, tout le monde la reconnaît comme incontournable. Mais au moment de sa naissance, chacun avait son idée sur ce qu’il fallait que je ne fasse pas. Un peu moins sur ce qu’il fallait faire. Nous avons été nombreux à travailler sur le sujet. Je crois que cela a commencé avec vous, Monsieur le Ministre Pierre Joxe, et vous le savez autant que les autres : cela n’a pas été aussi facile que cela. Il y a eu la question de la composition de l’instance. On m’a dit "oui" pour une instance représentative des musulmans de France. Mais pas n’importe lesquels ! Ceux qui me reprochaient de faire preuve de trop d’autorité, me demandaient de distinguer, à l’intérieur de cette instance, ceux qui avaient le droit d’y être, et ceux qui n’avaient pas le droit d’y être… 
       
Alors il faudrait savoir : est-ce que j’en faisais trop, ou pas assez ? J’ai même été jusqu’à me voir reprocher, par une grande éminence catholique, de vouloir instaurer une religion d’Etat. C'est tout le contraire ! A partir du moment où il était reconnu qu’en France il y avait plusieurs religions, par définition, il n’y avait pas de religions d’Etat. Il ne peut y avoir de religion d’Etat que s'il y en a qu’une.

La diversité, Monsieur le Président, c’est bien le gage de la liberté.

Oui, j’ai voulu qu’il y ait tout le monde dans cette instance. Je ne l’ai pas regretté. Et d’ailleurs, peut-être, est-ce l’occasion qui m’est donnée de dire un mot d’un sujet qui me passionne : la différence entre le fondamentalisme et l’intégrisme.

Les mots s’entrechoquent. Et ici, dans ce temple de la culture et de la précision, peut- on au moins s’amuser à en parler. Quelqu’un qui croit, naturellement, croit fondamentalement. Et plus il croit fondamentalement, plus sa foi est renforcée. On ne croit pas de temps en temps. L’engagement fondamental qui amènerait un catholique à aller communier tous les matins ne mettrait aucunement en cause la République. Cet engagement fondamental ne devient intégriste que lorsqu'il est plaqué sur la réalité de l’autre. Quand il n’est pas respectueux de la liberté de l’autre. C’est à ce moment là qu’il devient dangereux et qu’il doit être combattu.

Oui, j'ai voulu qu’il y ait, au sein du CFCM, l’ensemble des représentants du monde cultuel musulman, y compris l'UOIF. Et je ne l’ai jamais regretté. L'UOIF a toujours respecté sa parole. Les partisans d’un islam plus épicé ont leur place à l’intérieur de cette instance, où ils ont apporté leur représentativité, sans jamais trahir l’esprit de l’instance. Si l'UOIF avait refusé d’y participer ou en était partie, c’est la représentativité du CFCM qui se serait trouvée engagée. Et dans les banlieues, on aurait fait alors de l'UOIF une organisation de martyrs, et du CFCM une coquille à moitié pleine. Je ne l’ai pas voulu et j’ai assumé cette responsabilité.

J’ajoute d’ailleurs que j'aimerais que les partisans du dialogue entre les religions – qui ont raison de l'être ! – m’expliquent comment il serait possible de dialoguer avec la deuxième religion de France, par le nombre de ses fidèles, s'il n'existait pas d’instance pour dialoguer.

Cher Roger Cukierman, tu sais combien j’étais heureux quand le CRIF a pris l’initiative de dialoguer avec le CFCM. Ce n’est pas rien dans la France d’aujourd’hui. Et quand je participe aux dîners des CRIF régionaux et que je vois systématiquement les présidents des CRCM invités, je me dis que quelque chose a progressé, quand même, dans la République française. On a fait une avancée.

Mais il me semble qu’il faut encore aller plus loin et cesser l’hypocrisie. Quelle hypocrisie ? Celle qui consiste à se contenter de dire qu'il faut séparer l’islam de France des influences étrangères. Oui, mille fois oui ! Alors, il faut donner aux musulmans de France les moyens de gagner leur indépendance.

Je n’ai pas le sentiment qu’en Alsace, on soit moins en République, Cher Premier Ministre, qu'ailleurs en France. A-t-on le sentiment de changer de régime lorsqu’on passe de la Lorraine à l’Alsace ? Quelqu'un viendrait-il me dire qu’en Alsace on est moins en République, moins en démocratie ?

Je n’ai pas plaidé pour une réforme fondamentale de la loi de 1905. Je dis seulement qu'il existe un institut rabbinique de formation des rabbins de France, ici à Paris, et que c'est bien ainsi. Je préfère que les rabbins de France soient formés à Paris plutôt qu’à Tel’Aviv ou à Jérusalem. Il en va de même pour les imams. Je préfère qu’il y ait un jour un institut de formation des imams de France qui parlent français, qui étudient dans nos universités, qui connaissent nos valeurs plutôt que de demander au gouvernement algérien, au gouvernement tunisien, au gouvernement marocain, de nous envoyer des imams qui ne parlent pas un mot de français et qui ne sont pas pétris de la culture et de la tradition françaises.
       
Je le dis comme je le pense :  la fondation qui a été créée par Dominique de Villepin est un premier pas sans doute utile. Je souhaite que les maires, les conseils municipaux puissent jouer pour les lieux de culte un rôle plus important. Parce que, lorsqu'un élu (quelle que soit sa couleur politique) se trouve dans l'association qui gère un lieu de culte,  on sait alors ce qui s’y passe et on évite toutes les influences étrangères.

Voici dressé le tableau d'une bonne loi, la loi de 1905, qui l’est devenue plus qu’elle ne l’a été. J’aimerais qu'il soit pris acte de ce point au moment de cet anniversaire. Tout le monde ne se bonifie pas avec les années ! Je ne vise personne, si ce n’est moi naturellement.

Cette loi s’est bonifiée et c’est incontestablement une bonne loi. Mais une bonne loi ne veut pas dire une loi figée parce que figer une loi c’est la faire vieillir, c’est la démoder. Une loi doit pouvoir être adaptée. On garde les fondamentaux et on l’adapte.

La France a changé, elle est devenue une France multiple. Il faut dire aux Français : « vous n’avez pas à avoir peur de cette diversité, elle est une richesse ». Et si l'on reconnaît que le droit de croire est un droit absolu, pourquoi alors le reconnaître aux uns et le contester aux autres ?

Des religions qui doivent devenir des religions de France et des religions qui doivent apprendre à se parler entre elles : voilà ce que j’ai essayé de faire et voilà pourquoi ce sujet m’a passionné et me passionne.

Et ces trois dernières années ont vu un progrès considérable pour la place des religions et pour la place de l’islam de France. Jamais peut-être - et je voudrais terminer par cela – un ministre de l’Intérieur ne s’est senti autant ministre des cultes.

C'est une responsabilité que je revendique. Elle est une fierté. Elle est un sujet d’intérêt, voire un sujet de passion. Parce que les hommes de foi qu’il m'a été donné de rencontrer m’ont enrichi de leur expérience. Je ne plaide pas pour une église, quelle qu’elle soit. Je ne plaide même pas pour ceux qui croient. Je plaide pour l’utilité et l’intérêt de stabiliser la place des religions dans notre pays.
         
Je vous remercie.