Discours à l’occasion du colloque « Le monde à travers l’asile » - Institut du monde arabe, 23 juin 2014

23 juin 2014

Monsieur le Président,
Monsieur le directeur de l’OFPRA,
Mesdames et Messieurs,


Je vous remercie de m’avoir invité à venir m’exprimer à l’issue  vos travaux de ce jour sur "l’Asile dans le monde ». Cette journée vous aura permis, à l’initiative de l’OFPRA, de croiser différents regards, en partant de l’expertise des officiers de protection de l’Office, sur les situations de crise qui alimentent les nouveaux flux de réfugiés, en particulier en Syrie et en Afrique. Vous avez également partagé votre connaissance des nouvelles formes de persécution qui visent tant de femmes, d’hommes et d’enfants en raison de leur identité ou de leur orientation sexuelle. Vous avez aussi évoqué la nécessité d’adapter les formes des protections que nous reconnaissons aux formes modernes du combat pour la liberté.
 
Vous êtes représentatifs de la diversité des acteurs de l’asile de notre pays – associations, administrations, juridiction. Vous connaissez la mobilisation de la France auprès de celles et de ceux qui souffrent de ces conflits. L’action diplomatique et militaire de notre pays en Centrafrique, notre présence aux premiers rangs de la communauté internationale auprès du peuple syrien, tout cela a été rappelé.
 
Chacun ici joue son rôle dans l’expression active de cette solidarité. C’est la grandeur de l’action des associations, des bénévoles, des travailleurs sociaux. C’est la responsabilité du Ministère que je dirige, du Ministère des affaires étrangères que je connais bien. C’est celle de la justice. L’OFPRA y prend, vous l’avez vu encore aujourd’hui, toute sa place. Et je veux saluer ici la qualité de l’expertise des officiers de protection de l’OFPRA, qui résulte de leur connaissance de la situation dans les pays d’origine des demandeurs et d’une expertise de l’instruction en cours de renforcement.
 
Vous avez évoqué la Syrie. 5 000 syriens sont aujourd’hui accueillis en France. En 2014, l’OFPRA aura probablement protégé 2500 à 3 000 Syriens supplémentaires: à Fontenay, au Proche-Orient et dans les régions françaises au titre de l’initiative pour 500 réfugiés syriens supplémentaires voulue par le Président de la République et dont je souhaite, au vu de son efficacité, la poursuite en 2015 conformément aux vœux du HCR dont je veux ici saluer l’action.
 
Mais cette mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’asile prend place alors que le système de l’asile lui-même subit une forte pression. C’est la raison pour laquelle l’OFPRA a engagé dès 2013 une importante réforme interne et pourquoi je prépare au nom du Gouvernement une profonde réforme de l’asile.
Je veux donc  insister aujourd’hui sur deux messages que je crois essentiels.
 
Le premier de ces messages, c’est que l’asile fait partie des valeurs fondamentales de la République, de celle qu’elle ne peut abdiquer sans se renier.
 
Etre républicain, c’est en effet placer certains principes fondamentaux au-dessus de toutes les contingences du moment. C’est affirmer que ces valeurs sont universelles, parce qu’elles transcendent les cultures et les époques. Être républicain, c’est donc affirmer que l’Homme dispose, en tout point du monde, d’une égale dignité et que ceux qui sont persécutés en raison de leur combat, de leurs opinions, de leur religion, de leur origine, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, doivent pouvoir être accueillis et protégés. Et c’est pourquoi notre devoir, en tant que républicains, consiste à protéger ceux qui souffrent parce que certains gouvernements les oppriment ou les maltraitent.
 
L’asile n’est donc ni une générosité, ni l’expression de la mauvaise conscience d’un pays riche à l’égard des misères du monde. C’est un droit qui nous oblige parce qu’il est l’incarnation de ce que nous sommes : une République, fière des valeurs universelles qu’elle défend dans toutes les enceintes internationales et dans toutes les occasions.
 
Comme vous le savez, on trouve d’ailleurs trace de l’asile, dans sa version moderne, dès la Révolution Française. Ainsi l'on relèvera que la déclaration universelle de 1789 reconnaît parmi les droits de l’Homme et du citoyen la résistance à l’oppression. La constitution « montagnarde »  de 1793, a proclamé que le peuple français «donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et le refuse aux tyrans ». Et, bien sûr, le préambule de la constitution de 1946 consacre pleinement le droit à l’asile pour tous les combattants de la liberté et lui donne sa place dans notre bloc de constitutionnalité.
 
Bien avant la convention de Genève, la France avait donc déjà reconnu la nécessité du droit d’asile, dans une définition dont chacun constate la modernité. L’asile est partie intégrante de notre modèle républicain. Sa consécration par le droit européen et international est une consécration de certains idéaux nés en France.
 
Pourtant, chacun dans cette salle conviendra avec moi que l’exercice du droit d’asile aujourd’hui n’est pas à la hauteur de cet héritage.  Tous les rapports le constatent : notre droit d’asile a besoin de puiser un nouveau souffle au creuset de la réalité des oppressions contemporaines et de la nécessité d’en protéger les victimes. Il faut d’abord commencer par reconnaître qu’il nous est difficile d’accueillir comme nous le voudrions tous ceux qui ont droit à notre protection ; des dysfonctionnements et des lenteurs pénalisent les réfugiés et donnent prises à des dérives dont tentent de profiter les filières d’immigration clandestine. C’est la raison pour laquelle je proposerai très prochainement au Conseil des ministres une réforme de l’asile que je souhaite ambitieuse et, pourquoi pas, consensuelle.
En l’état actuel des choses, il me semble que nous nous accordons tous pour identifier au moins trois carences de notre système.
 
La première de ces carences consiste à ne pas offrir des garanties égales à tous les demandeurs. Comme le Président de la République l’avait lui-même relevé pendant la campagne électorale, certains demandeurs sont privés d’un appel suspensif devant le juge. C’est la raison pour laquelle le premier principe de la réforme que je porterai se résume en une idée simple : tous les demandeurs d’asile doivent d’abord avoir accès à l’OFPRA, dont l’indépendance sera consacrée par la loi ; puis, s’ils ne sont pas reconnus comme réfugiés, à un juge spécialisé. Et tant que ce juge n’a pas statué, ils ne pourront pas être éloignés.
 
La deuxième des carences de notre système, c’est que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile sont trop hétérogènes. Certains d’entre eux ont la chance d’être hébergés dans un centre d’accueil : je sais que nombre d’entre vous les y accompagnez en tant que travailleurs sociaux et je veux saluer votre professionnalisme. Mais beaucoup d’autres, en fait les trois quarts d’entre eux, sont soit pris en charge dans des structures d’hébergement d’urgence, soit livrés à eux-mêmes. Cette différence de traitement n’est pas justifiable. Je veux donc m’appuyer sur le modèle du CADA pour définir, en lien avec les associations, des modalités de prise en charge plus uniformes des demandeurs d’asile, sur tout le territoire national.
 
La troisième des carences de notre système, c’est que, confronté à une forte hausse du nombre des demandeurs depuis 2007, il n’est pas assez efficace, ni assez rapide. Or cette lenteur a un coût budgétaire et humain. Je pense à ces hommes et ces femmes qui sont venus demander l’asile en France et restent parfois plusieurs année sans connaître l’issue de leur demande. Je pense aussi au personnel des préfectures, des communes, des associations, de l’OFPRA et de la CNDA, qui ne sont plus en situation d’aider efficacement les demandeurs qui s’adressent à eux. Sans oublier que nos dispositifs d’éloignements deviennent incompréhensibles, voire parfois inhumains, pour des demandeurs d’asile lorsque la mesure d’éloignement est exécutée plusieurs années après leur demande initiale.
 
Il nous faut donc absolument  raccourcir les délais de traitement des demandes d’asile. Notre objectif est donc que le délai moyen d’examen complet d’une demande soit ramené à 9 mois, entre la première présentation du demandeur à l’administration et la fin de la procédure. Pour cela, à chaque étape, nous devrons consentir des efforts. Des guichets uniques devront être créés partout sur le territoire pour répondre aux besoins des demandeurs en termes de droit au séjour et de prestations matérielles. L’OFPRA devra poursuivre sa réforme engagée dès 2013: elle a déjà accru le nombre de décisions rendues de 15%, depuis l’été 2013.La mobilisation des agents de l’Office lui a permis de maîtriser depuis l’été 2013 et pour la première fois depuis 2007, son stock de demandes en attente et ses délais. Pour la première fois depuis longtemps, les protections reconnues par l’Office sont depuis 2013 en plus grande nombre que celles relevant de la Cour. Des efforts majeurs sont consentis par l’OFPRA, en lien avec les différents intervenants, notamment associatifs, comme ce colloque l’a une nouvelle fois montré, pour mieux protéger les femmes victimes de violences, les personnes persécutées pour des raisons d’orientation sexuelles, les mineurs, les victimes de la traite et de la torture. Des moyens exceptionnels seront consentis en 2015 à l’OFPRA pour qu’en accompagnement des efforts d’efficacité engagés, il puisse atteindre les objectifs fixés en termes de délais tout en mettant en place les garanties nouvelles prévues par les directives européennes., La CNDA, que j’entends maintenir et conforter en tant que juge de l’asile doit également monter en gamme afin de réduire encore, elle aussi, ses délais.
 
Un système efficace, c’est aussi un système qui assure l’intégration rapide des réfugiés politiques : qui leur propose des outils pour parvenir à un niveau de maîtrise suffisant de la langue française pour leur permette d’avoir accès à un emploi, à la santé, à l’éducation et à la culture. La refonte que je proposerai du contrat d’accueil et d’intégration ira bien sûr en ce sens. Mais il nous faudra également utiliser d’autres mécanismes, en nous appuyant sur la force de proposition des associations et sur la mobilisation des crédits de droit commun. Je sai aussi que l’OFPRA se mobilise pour faciliter la vie administrative des réfugiés en France. Le projet de loi que je présenterai donnera notamment à l’Office les moyens de procéder dans de meilleurs délais à la réunification familiale des réfugiés, gage de leur bonne intégration après des parcours marqués par tant de souffrances et de séparations.
 
Enfin, ne nous le cachons pas, un système efficace, c’est aussi un système qui assure un retour, dans des conditions dignes et dans le respect des droits, à ceux qui ne peuvent bénéficier de la protection de la France. Cela passe par une plus grande célérité des procédures contentieuses devant le tribunal administratif. Cela passe par une refonte des aides de l’OFII pour le retour et la réinsertion. Cela passe, sans doute aussi, par une réforme de nos procédures en matière d’éloignements contraints. Je pense notamment au développement de l’assignation à résidence, actuellement sous-utilisée.
 
Cette question également doit être traitée avec lucidité. Il n’y a de droit d’asile que parce que nous sommes en mesure de faire la part entre celui qui a besoin de la protection de la France et celui qui n’en a pas besoin. Il n’y a pas de droit d’asile sans reconduite effective de celui qui n’a pas droit au séjour. C’est aussi parce nous saurons faire preuve de fermeté et de clarté que le droit d’asile retrouvera en France la place qui doit être la sienne.
 
Mesdames et messieurs,
 
Nous savons que cette réforme de l’asile doit être ambitieuse. Je souhaite qu’elle soit mise en œuvre en concertation avec la société civile et avec les associations intéressées. C’est cela aussi le modèle français de l’asile.
 
Cela ne signifie pas que nous serons toujours d’accord sur tout. Mais cela signifie que nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. Cela signifie que nous devons nous efforcer de réformer ensemble notre droit d’asile en préservant les traits caractéristiques du modèle français, de façon à garantir à chaque demandeur un accompagnement adapté et un traitement impartial de sa demande.
 
Je vous remercie.