13.11.2015 - Présentation du "Plan Armes"

13 novembre 2015

Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’occasion de la présentation du « Plan Armes » - Nanterre – 13 novembre 2015


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames et Messieurs,

Chaque année, notre pays doit déplorer 1 800 décès par arme à feu, dont 1 400 suicides et 140 homicides. De leur côté, les forces de l’ordre saisissent chaque années près de 5 000 armes à feu.

En effet, en marge du marché légal et des quatre millions d’armes détenues officiellement par les Français, s’est développé un important trafic d’armes en provenance d’États de l’Union européenne, ainsi que de pays tiers, disposant d’importants arsenaux de guerre tombés aux mains de civils ou d’organisation mafieuses, notamment à la suite de l’effondrement du bloc soviétique et des guerres d’indépendance dans les Balkans.

Alors que ces filières historiques perdurent, de nouveaux trafiquants exploitent désormais les différences de législation entre les Etats membres européens, tandis que la vente d’armes illégale sur Internet est en pleine expansion. Parallèlement, les forces de l’ordre relèvent de nouvelles connexions entre le milieu des collectionneurs et la grande délinquance. Enfin, les cambriolages d’armureries et de résidences viennent aussi alimenter ces marchés.

Or de nombreuses affaires nous montrent que l’emploi de plus en plus fréquent des armes à feu nourrit la délinquance, élève le niveau de la violence constatée et alimente le sentiment d’insécurité, notamment dans les quartiers sensibles. Les règlements de compte entre bandes sont de plus en plus violents, tout comme les méthodes employées par les délinquants pour réaliser leurs méfaits. Et les terroristes parviennent plus facilement à se procurer les armes nécessaires à l’exécution des attentats qu’ils projettent.

Aussi, la lutte contre le trafic d’armes, mais aussi le contrôle beaucoup plus efficace du marché légal des     armes sont désormais des axes prioritaires d’action, indissociables de la lutte contre la délinquance et le terrorisme. Depuis plusieurs mois, une série de réflexions a donc été engagée à ma demande à ce sujet, dans le cadre d’une étude confiée à l’Inspection générale de l’Administration, puis dans celui d’une réflexion commune menée par les directions générales de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. Le Préfet GUEPRATTE m’a également remis, au mois d’avril dernier, un important rapport portant sur la réglementation applicable au commerce et à la détention des armes, ainsi que sur ses évolutions souhaitables. 

Cet ensemble d’analyses et de recommandations m’a convaincu que,  pour combattre le trafic d’armes et déstabiliser les filières qui l’organisent, nous avions besoin aujourd’hui d’adopter un ensemble cohérent de mesures nouvelles, et non pas seulement d’adapter à la marge nos pratiques.

C’est là l’objet du plan national de lutte contre les armes illégalement détenues dont je me propose de vous présenter les principales dispositions, qu’il s’agisse de mesures opérationnelles, de la réforme de la réglementation applicable, de la coopération internationale ou encore de la communication à destination du grand public.

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En termes opérationnels, j’ai tout d’abord souhaité que l’action des services soit renforcée en vue de déstabiliser les filières de trafic tout au long de la séquence qui va de l’approvisionnement sur Internet jusqu’au recel dans les quartiers.

Seront ainsi développées les cyber-patrouilles sous pseudonyme pour les policiers chargés de traquer les trafiquants sur internet. Ces trafiquants ont en effet développé des méthodes de travail sur « la toile » qui leur permettent d’alimenter rapidement les délinquants désireux d’acquérir illégalement des armes. Notre objectif consiste à pouvoir mieux détecter les filières qui utilisent les réseaux numériques en amont de l’importation ou de la circulation des armes.

Sur le terrain, une stratégie de contrôles coordonnés entre les services des douanes et ceux de la police et de la gendarmerie nationale sera mise en œuvre sur  les lieux où les armes sont susceptibles d’entrer. Les ports et les zones aéroportuaires sont des points d’entrée où cette coordination doit être renforcée : il s’agit en particulier des ports de Marseille, Bastia, Le Havre, Dunkerque, Calais, Toulon, Sète et Caen-Ouistreham, ainsi que les aéroports secondaires, qui feront l’objet d’une surveillance particulière.

Une fois que ces armes sont entrées sur le territoire national, il y a lieu de mieux cibler les « axes » que le trafic emprunte pour y réaliser des contrôles ciblés, selon une cartographie en permanence actualisée, alimentée par le renseignement.

Une fois arrivées à destination, dans les quartiers sensibles, les armes alimentent les bandes qui se livrent à tous les trafics et bien évidemment à celui des produits stupéfiants. L’action des services de police, en lien avec les bailleurs, et sous l’autorité des procureurs de la République, doit être dirigée sur des stratégies de visites de parties communes, de locaux inoccupés et de parkings, afin que nous puissions aller chercher ces armes là où elles se trouvent.

Au-delà, les lieux vulnérables et propices à toutes les convoitises - tels que les armureries ou les clubs de tir  - doivent également être mieux contrôlés.

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Pour agir de façon efficace à ces différentes étapes, nous devons améliorer notre compréhension des trafics et notre connaissance des armes qui circulent sur notre territoire.

Le partage de l’information sur le trafic d’armes, au sein du ministère de l’intérieur mais aussi avec l’ensemble des acteurs publics, privés ou associatifs concernés doit être considérablement renforcé. Chacun est convaincu de cette nécessité. Mais ce partage suppose que nous améliorions nos outils statistiques, criminalistiques et de renseignement.

Je pense en particulier à la création du fichier national d’identification balistique (FNIB), système d’imagerie à très haute définition qui regroupe déjà trois mille éléments d’identification – par exemple des douilles ou des fragments de projectiles –, qu’ils aient été découverts sur des scènes d’infraction, ou tirés à partir des armes saisies par les services d’enquête. Ce fichier succèdera à la base CIBLE désormais obsolète. Plus efficace, il permettra une coordination renforcée entre les différentes forces et garantira durablement un très haut niveau d’expertise. Il y a deux semaines de cela, cet outil a ainsi permis au pôle judiciaire de la gendarmerie de relier deux affaires dont un homicide. Cette démarche portée par la gendarmerie est désormais partagée avec la police nationale et je m’en félicite. Il s’agit en effet de mettre à la disposition de tous nos enquêteurs les tout derniers développements de la technologie.

Nous procèderons de la même manière avec les fichiers dédiés à la traçabilité des armes saisies, de façon à identifier les circuits d’approvisionnement. Les différents systèmes existants, comme l’application TRAFFIC, devront être unifiés afin de rendre possible le partage de l’information et de valoriser toutes les innovations techniques.

En améliorant ainsi la collecte et l’analyse du renseignement, le recours à un examen balistique dans les enquêtes judiciaires sera systématisé. Toutefois, la technicité de la matière impose de revoir en profondeur notre logique de formation des policiers et des gendarmes. Il s’agit de leur donner les moyens de mieux remplir leurs missions, tout en valorisant leur investissement par des formations qualifiantes.

Par ailleurs, pour favoriser la traçabilité des armes, le fichier AGRIPPA qui recense l’ensemble des personnes détenant une ou plusieurs armes de façon légale sera considérablement modernisé. Car, si nous voulons garantir plus efficacement cette traçabilité, nous ne devons pas seulement tenir compte des armes, mais aussi de ceux qui en sont les propriétaires, notre objectif étant de parvenir à une traçabilité de l’arme depuis sa fabrication jusqu’à sa destruction ou sa sortie du territoire grâce à la mise en œuvre d’un identifiant unique. Je souhaite engager sans tarder cette modernisation, qui nous permettra d’optimiser la coordination d’AGRIPPA avec l’application FOVES qui recense les objets et les véhicules volés et signalés comme tels. J’insiste sur la grande importance de cette réforme d’AGRIPPA, car c’est là une des mesures essentielles de notre plan de lutte contre les trafics d’armes.

Enfin, dans le cadre du plan, je créerai au ministère de l’Intérieur, en coordination avec les autres ministères concernés (Défense, Justice, Finances), un Service national de coordination du contrôle des armes. Rattaché au Secrétaire général du ministère, il aura pour objectif d’assurer la cohérence nationale des différentes politiques publiques de contrôle des armes en France. Cette réforme d’organisation est essentielle : elle permettra de mettre en place une gouvernance unique de notre action, aujourd’hui éclatée entre différentes administrations, avec toutes les pertes en ligne que génère l’émiettement des responsabilités.

Le Service national de coordination aura également pour mission d’organiser des campagnes nationales de sensibilisation pour inviter les Français qui possèderaient des armes sans en avoir l’usage à les remettre aux forces de l’ordre. En effet, chaque année, des armes se retrouvent en circulation après qu’elles ont été dérobées à leurs propriétaires au cours d’un cambriolage. Ainsi, l’année dernière, pas moins de 7 500 armes à feu ont été volées de cette façon. Chacun doit bien comprendre que ces armes, une fois tombées entre des mains mal intentionnées, peuvent servir à commettre des actes criminels.

Je précise que de telles campagnes, à destination du grand public, ont déjà été menées ces dernières années dans les territoires ultra-marins, où elles ont produit d’excellents résultats. Ce dispositif sera déployé à l’échelle de l’ensemble du territoire national. Nous inviterons donc, dans les prochains mois, les Français concernés à déposer dans les commissariats et les brigades de gendarmerie les armes qu’ils ont en leur possession et dont ils souhaitent se débarrasser.

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J’en viens au cadre normatif dans lequel les services préfectoraux et les forces de sécurité conduisent leur délicate mission. Il doit nécessairement évoluer, car il bride aujourd’hui nos possibilités opérationnelles. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que l’évolution de la réglementation constitue le second axe de ce plan global de lutte contre la détention illégale des armes.
Par une modification du Code de procédure pénale, le caractère organisé du trafic d’armes sera présumé, comme c’est déjà le cas en matière de trafic de stupéfiants ou de traite des êtres humains. La suppression de l’exigence préalable de « bande organisée » permettra ainsi le recours plus systématique aux techniques spéciales d’investigation (infiltration, durées de gardes à vue allongées, perquisitions élargies, etc.).
La technique du « coup d’achat », déjà permise en matière de trafic de stupéfiants, sera parallèlement élargie aux trafics d’armes. Elle autorisera les enquêteurs à solliciter, sans être eux-mêmes pénalement responsables, un trafiquant d’armes afin de le confondre.
Je souhaite enfin que soient alourdies les peines encourues pour les faits d’acquisition, détention et cession des armes les plus lourdes (catégories A et B).
La préparation et la mise en œuvre de ces trois mesures importantes seront bien évidemment conduites en étroite articulation avec le ministère de la Justice.
La réglementation applicable aux conditions de conservation des armes sera également modifiée, de façon à réduire le nombre des vols qui alimentent les trafics. Bien entendu, on ne saurait imposer les mêmes obligations à des particuliers ou à des clubs de tir ou à des professionnels. C’est la raison pour laquelle cette réforme donnera lieu à une étroite concertation avec les fédérations et organisations professionnelles concernées.

Enfin, certains aspects de notre réglementation relèvent du niveau européen. C’est d’ailleurs à cette échelle que le trafic doit être appréhendé si l’on veut être efficace. La France doit être force de propositions pour faire évoluer le cadre juridique applicable aux États Membres de l’Union européenne. Ainsi la directive 91/477 du 18 juin 1991, relative aux armes à feu, pourrait être utilement révisée afin d’étendre son champ d’application à certaines armes qui ne sont pas couvertes aujourd’hui (armes d’alarme, de signalisation, de sauvetage, d’abattage, armes à blanc, etc.) qui peuvent être aisément détournées de leur fonction originelle.

De la même manière, les modalités de la vente d’armes sur internet doivent donner lieu à un encadrement strict.

C’est également le cas des opérations de neutralisation des armes à feu, qui devront obéir à des standards techniques européens communs. A défaut, les frontières seront utilisées à nos dépens pour remettre en circulation des armes neutralisées dans un pays voisin, mais dont l’opération technique est réversible lorsque les normes applicables y sont moins rigoureuses qu’en France.

Dans le même esprit, il est indispensable de rechercher un marquage « CE » des armes : il est anormal qu’aujourd’hui chaque fabricant définisse lui-même les caractéristiques de son marquage, alors qu’il s’agit d’un élément opérationnel essentiel pour les services chargés du contrôle des armes et donc de leur identification.

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Les trafics d’armes ne connaissent pas de frontières. Au contraire, ils s’en servent pour prospérer en mettant à profit les différences de réglementations ou les ruptures du continuum opérationnel. C’est la raison pour laquelle notre action doit impliquer une nécessaire coopération à l’échelle européenne et internationale. C’est ainsi que nous pourrons lutter de façon réellement efficace contre ces entreprises criminelles.

Pour ce faire, nous renforcerons le partage du renseignement concernant les trafics d’armes, par la mobilisation et l’action des attachés de sécurité intérieure (ASI) dans les pays de provenance des armes. La Direction de la coopération internationale (DCI) élaborera des synthèses périodiques à destination des services et des unités de la police, de la gendarmerie et des douanes. Dans le même esprit, nous soutiendrons au plan européen les aides à la destruction des stocks d’armes inutilisées, notamment dans les Balkans et plus largement en Europe de l’Est.

Pour que notre action soit la plus complète possible, il nous faut, tout aussi impérativement, faire en sorte de détecter l’activité des Français qui se rendent dans les pays sources pour s’y approvisionner en armes. Nous nous fixons donc pour objectif de créer, dans le cadre d’accords bilatéraux, une Unité permanente de renseignement (UPR)  qui sera chargée de recueillir toutes les informations nécessaires dans les zones concernées.

Nous allons par ailleurs, sur le modèle de ce que nous avons fait contre les trafics de stupéfiants, organiser des opérations transfrontalières de lutte contre le trafic d’armes aux points de passage que nous aurons préalablement identifiés. Nous nous appuierons bien sûr sur le réseau des ASI, sur les centres de coopération policière et douanière (CCPD) et sur EUROPOL.

En outre, pour mieux contrôler la délivrance des autorisations liées au commerce international des armes à feu, et en lien avec la Direction générale des douanes et des droits indirects, nous créerons un dispositif de gestion dématérialisée des autorisations d'import/export et de transfert d'armes à feu dans l’Union européenne. Nous pourrons ainsi repérer plus facilement les mouvements illicites.

Enfin, il est indispensable de répertorier dans les bases de données d’Interpol et d'Europol les armes découvertes ou saisies en France afin de renforcer le dispositif de suivi des armes.

Ce plan national de lutte contre les armes illégalement détenues a donc vocation à mobiliser l’ensemble de mon ministère, au niveau central et territorial, les forces de sécurité comme les services préfectoraux. Et il doit impliquer de façon étroite d’autres administrations, en particulier le ministère de la Justice, le ministère de l’Économie et des Finances, comme le ministère de la défense.

Ce plan témoigne d’une ambition que je veux souligner à nouveau. Il implique à la fois, comme je vous l’ai indiqué, une modernisation de notre dispositif opérationnel de lutte contre les trafics, une réforme substantielle de la réglementation et la mise en œuvre d’un plan de communication nouveau. Sa mise en œuvre nécessitera en outre un investissement à la hauteur de ses enjeux à l’échelon européen et international.

Enfin, ce plan d’action porte sur un domaine qui engage d’une certaine manière tous les Français. De nombreux rendez-vous seront naturellement pris avec les partenaires des fédérations et les professionnels concernés au cours des mois à venir. Mais je considère qu’il s’agit pour le pays d’un chantier collectif, qui a trait à un véritable choix de société, consistant à réguler et à limiter autant que possible la possession et la circulation des armes à feu, au nom d’un impératif de sécurité et de tranquillité publiques, plutôt qu’à se résigner passivement à leur prolifération.

Vous pouvez compter sur mon engagement à faire prévaloir concrètement ce choix de société, à mobiliser pour ce faire l’ensemble des forces de sécurité et à y associer dans la transparence nos concitoyens.

Je vous remercie.