Sécurité routière : 120 ans de dangers et de progrès

Sécurité routière : 120 ans de dangers et de progrès © MI/Sécurité Routière/F.Cepas

Le Comité interministériel de la sécurité routière est né il y a 40 ans, en 1972. Cet anniversaire offre l'occasion de revenir sur l'histoire même du développement de l'automobile en France, et de son corollaire, la sécurité routière.


C'est à la fin du XIXe siècle que l'aventure de l'automobile prend son essor. La France est avant-gardiste en la matière, avec 350 véhicules en circulation en 1895, pour à peine 85 à la même date aux États-Unis. En 2011, ils étaient près de 37 millions à circuler dans l'Hexagone.

On trouve trace du premier accident mortel survenu sur la route en 1898, lors d'une course automobile au départ de Périgueux. Le marquis de Montaignac est alors doublé par monsieur de Montignol. Le marquis salue son ami pour le laisser passer, lâche son levier de direction, quitte la route, heurte un arbre et se tue.
À l'origine, l'automobile est avant tout perçue comme un fléau. Les routes, inadaptées, ne sont pas équipées d'un revêtement adéquat ni de signalisation. À tel point que certains édiles optent pour une solution radicale : l'interdiction pure et simple de la circulation d'automobiles en centre-ville. L'arrêté du 21 février 1893 laisse en effet la possibilité aux maires de réglementer la circulation dans leur ville. La voiture fait du bruit, la voiture rompt la quiétude. On se plaît à haïr leurs propriétaires, vus comme des nantis, à leur lancer du fumier ou des pierres. Les publications humoristiques de l'époque reprennent en choeur le terme d'"automobiliste écraseur".

Grâce aux progrès techniques incessants (moteurs, pneumatiques, taille des véhicules), l'automobile trouve petit à petit sa place dans la société, suscitant l'intérêt des pouvoirs publics. Le 14 août 1893, une circulaire ministérielle institue le certificat de capacité valable pour la conduite des véhicules ; l'ancêtre du permis de conduire était né. En 1895, les automobiles électriques ou à essence sont autorisées à rouler en centre-ville, mais à moins de 10 km/h. Quatre ans plus tard, le décret du 10 mars 1899 réglemente plus précisément la circulation des automobiles : limitation de la vitesse à 30 km/h en campagne et à 20 km/h en ville, création du récépissé de déclaration de mise en circulation – l'actuelle carte grise – et du certificat de capacité. Ce dernier est délivré par un ingénieur des Mines qui évalue le candidat sur sa conduite et sa connaissance du véhicule, et attribue le récépissé de déclaration de mise en circulation. On trouve, là, la source du terme "plaque minéralogique".

La voiture n'est plus une rareté. En 1900, plus de 1 600 véhicules circulent en France. À la même date, Léon Gaumont, pionnier de l'industrie du cinéma français et inventeur émérite, modifie un appareil photo en y installant un obturateur à deux fentes, permettant d'obtenir deux images copiées sur une même plaque. Le temps entre les deux photos étant connu du preneur d'images, il suffit de mesurer le déplacement du véhicule pour connaître sa vitesse. Le tout premier radar de vitesse vient d'être créé, mais la technologie sera développée plusieurs décennies plus tard.

En 1909, c'est un autre grand nom, Michelin, qui met à disposition des communes des panneaux avec leur nom et d'autres avec des indications de danger. Il n'en existe à l'origine que quatre : pour annoncer un croisement, un virage, un passage à niveau ou un dos-d'âne. En 2007, on comptait 384 panneaux de signalisation différents.

En 1910, 53 000 automobiles sont recensées. Sept ans plus tard, les premières auto-écoles sont créées. Le fordisme et le taylorisme se développent et vont faire monter en flèche l'usage de l'automobile. En 1920, le nombre de véhicules en circulation atteint 330 000. L'article 29 du décret de 1921 est modifié par un décret du 31 août 1922, qui amorce une spécialisation plus poussée des "permis de conduire". Le décret du 31 décembre 1922 portant règlement général sur la police de la circulation routière reprend les dispositions antérieures, en y apportant quelques nouveautés ; désormais, le certificat de capacité est appelé permis de conduire, ses conditions d'établissement et de délivrance sont fixées par arrêté du ministre des travaux publics, l'agent chargé de donner au préfet son avis sur la délivrance du permis n'est plus le représentant du service des Mines mais un expert accrédité par le ministre des Travaux publics. Les limitations à 30 km/h sur route et à 20 km/h en ville sont également abolies en 1922, chacun devant désormais adapter sa
vitesse aux circonstances de la route.

Le premier feu de signalisation est posé le 5 mai 1923 au croisement des boulevards Saint-Denis et Sébastopol à Paris. Il est rouge, fonctionne à l'électricité et est accompagné d'une sonnerie. Il faudra attendre dix ans avant que n'apparaissent les feux vert et orange.

En 1949, dans la France d'après-guerre, avec un réseau routier dévasté, un parc automobile en pleine croissance et des véhicules souvent peu sûrs, on assiste à une véritable hécatombe sur les routes. Les sociétés d'assurances et les  professions de l'Union routière de France décident alors de créer la Prévention routière, association régie par la loi de 1901, qui sera reconnue d'utilité publique le 3 mai 1955. Son rôle majeur est d'agir pour réduire le nombre et la fréquence des accidents de la route. Le premier comité départemental ouvre ses portes à Lyon dès 1950. À cette date, on dénombre 2 310 000 automobiles en circulation en France.

Quatre ans plus tard, en 1954, les pouvoirs publics ciblent leur politique contre l'insécurité routière avec une loi autorisant la recherche du taux d'alcool dans le sang en cas d'accident grave, puis par une ordonnance du 15 décembre 1959 permettant de sanctionner les automobilistes qui conduisent non seulement en état d'ivresse, mais également "sous l'empire d'un état alcoolique", créant ainsi une infraction nouvelle. La loi du 18 mai 1965 permet le dépistage par l'air expiré de l'imprégnation alcoolique des conducteurs en cas d'infraction grave au code de la route. Ces démarches aboutissent au vote de la loi du 9 juillet 1970 qui fixe le taux légal d'alcool au volant en France à 0,8 g d'alcool pur par litre de sang pour la contravention, et à 1,2 g pour le délit. L'année 1970 voit également la création de la mission interministérielle à la Sécurité routière et l'obligation  pour les véhicules neufs d'être équipés de ceintures trois points aux places avant. La ceinture deviendra obligatoire aux places avant par l'arrêté du 28 juin 1973, et pour les places arrière en 1990.

Le Comité interministériel de la sécurité routière est créé par un décret du 5 juillet 1972. Cette date correspond également à l'année la plus meurtrière sur les routes de France : 18 000 victimes décédées. La lutte contre l'insécurité routière devient peu à peu une cause nationale : limitation de la vitesse à 130 km/h sur autoroute en 1974 ; obligation de porter un casque pour les conducteurs et passagers de vélomoteurs en 1975, puis de cyclomoteurs en 1980 ; possibilité de retrait immédiat de permis en cas de conduite sous l'empire de l'alcool en 1986 ; mise en oeuvre des plans départementaux d'actions de sécurité routière en 1987 ; livre blanc sur la sécurité routière en 1989 ; limitation de la vitesse en agglomération à 50 km/h en 1990 ; permis à points mis en application en 1992 ; renforcements constants de la lutte contre l'alcoolémie au volant (abaissement de 0,7 à 0,5 g d'alcool par litre de sang en 1995), puis contre les stupéfiants en 2001. En 2002, le président de la  République, Jacques Chirac, décide de faire de la sécurité routière l'un des trois chantiers de son quinquennat. Le déploiement des radars automatiques, en 2003, permettra de faire chuter la vitesse moyenne des véhicules de plus de 10 km/h.

On estime à 320 000 le nombre de vies sauvées sur les routes de France entre 1972 et 2012. Pour Frédéric Péchenard, douzième délégué interministériel à la sécurité routière : "Ces centaines de milliers de vies sauvées, tous ces drames évités sont le résultat d'une combinaison de facteurs : volonté constante de l'État, amélioration de la sécurité des véhicules, aménagement des routes et surtout prise de conscience des usagers qui ont changé de comportement. Au niveau européen, avec 61 morts par million d'habitants, nous sommes juste dans la moyenne de nos voisins, alors que le meilleur élève européen est à 32 morts par million d'habitants. Il reste de nombreuses vies à sauver."