Cérémonie du 72e anniversaire de la Libération de Paris

Cérémonie du 72e anniversaire de la Libération de Paris
29 août 2016

Discours de M. Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur, à l’occasion du 72e anniversaire de la Libération de Paris en date du 24 août 2016, à Préfecture de Police.

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Préfet de Police,
Monsieur le Préfet,
Madame la Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mon Général, Gouverneur militaire de Paris,
Messieurs les Directeurs généraux,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations patriotiques et des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs,

Lorsqu’il lança son appel à la Résistance, le 18 juin 1940, le général DE GAULLE avait bien conscience que ses compagnons et lui allaient devoir franchir des obstacles immenses avant que la France ne recouvrât sa liberté, son honneur et son indépendance. A Londres, dans le dénuement de juin 40, il s’apparaissait à lui-même, écrivit-il bien plus tard, « seul et démuni de tout, comme un homme au bord d’un océan qu’il prétendrait franchir à la nage ».

Cette aventure s’est pourtant conclue, au prix de terribles sacrifices et avec le concours décisif de nos alliés, par la Libération de notre pays et la victoire de la démocratie.

Elle fut aussi celle des hommes et des femmes, de tous âges, de toutes conditions et de toutes origines, de métropole comme d’outre-mer, qui s’engagèrent corps et âme dans les Forces Françaises Libres ou bien dans les mouvements de Résistance intérieure. MALRAUX a dit un jour, fort justement, que la Résistance avait vécu grâce à « la complicité de la France ». Il s’empressa alors d’ajouter : « Pas de toute la France ? Non. De celle qui a suffi. »

De nombreux policiers et agents du ministère de l’Intérieur ont fait partie de cette France « qui a suffi ». Aujourd’hui, comme chaque année, nous voici rassemblés pour honorer la mémoire des policiers de la Préfecture de Police qui, entre le 19 et le 25 août 1944, se sont soulevés contre l’occupant, jouant ainsi un rôle majeur dans la Libération de Paris. 167 d’entre eux ont sacrifié leur vie lors des combats acharnés qui endeuillèrent les rues de la capitale. Héros tombés pour la patrie, ils reposent désormais dans notre mémoire collective, leurs noms gravés à jamais sur les murs de Paris.
 
Sans doute pourrait-on croire qu’il y a désormais loin d’aujourd’hui à ces jours d’août 1944 où toutes les cloches de Paris sonnaient pour saluer la Libération de la ville. Et même, qu’il y a loin de notre actualité à cette émouvante cérémonie où, quatorze ans après les événements, MALRAUX évoquait déjà ces cloches d’anniversaire que l’on s’apprêtait alors à faire retentir une nouvelle fois, à destination de la jeunesse de France.

Pour ma part, je ne le crois pas.

Car, ce que nous célébrons aujourd’hui, c’est, bien sûr, une page glorieuse de l’histoire de notre pays, écrite par les agents de la Préfecture de Police, aux côtés de leurs camarades des Forces Françaises de l’Intérieur, aux côtés du peuple de Paris insurgé, aux côtés des soldats de la France combattante et des armées alliées venus hâter cette délivrance – mais c’est aussi une inestimable leçon de courage et de patriotisme qui ne cesse de se transmettre au présent et qui, plus que jamais, nous est précieuse dans la France de 2016.

C’est la raison pour laquelle, comme je le disais déjà l’année dernière dans cette même cour du 19 août, le récit de ces journées décisives mérite d’être rappelé, encore et encore. Aussi, je veux une fois de plus y revenir car nous pouvons y puiser des exemples toujours actuels d’audace et de bravoure.

Tout commence le 15 août 1944, alors que le peuple parisien guette les nouvelles du front de Normandie et apprend celle du débarquement de Provence. A l’appel des mouvements de Résistance qui forment le Comité de Libération de la Police parisienne, les policiers se mettent en grève, tout comme les cheminots et les postiers. Chacun sent bien que la situation est insurrectionnelle. Alors, l’armée allemande contrôle encore la totalité de la capitale. Ce jour-là, le dernier convoi de déportés quittera même Pantin pour les camps de la mort, emportant dans ses wagons 2 453 prisonniers voués au martyre.

Au terme de quatre jours de grève patriotique, au matin du 19 août, 2 000 gardiens de la paix se retrouvent en civil, à l’appel de la Résistance, sur le parvis de Notre-Dame et s’emparent de la Préfecture de Police. Pour la première fois depuis juin 1940, la Marseillaise résonne dans la cour où nous nous tenons en cet instant. Pour la première fois aussi depuis quatre ans, le drapeau tricolore est hissé à Paris sur un bâtiment public.

A l’appel du colonel ROL-TANGUY, chef régional des FFI, la résistance parisienne s’organise ensuite autour de cette même Préfecture de Police, érigée en bastion stratégiquement situé au cœur de la capitale. L’État renaît et le nouveau Préfet de Police s’installe dans ces murs. L’Hôtel de Ville, les mairies d’arrondissement, sont bientôt occupés à leur tour. La place Beauvau également, en attendant l’arrivée du nouveau ministre, Emmanuel d’ASTIER DE LA VIGERIE. Mais la bataille de Paris ne fait que commencer et elle sera durement livrée, faisant plus de 500 victimes civiles et près de 1 000 morts parmi les combattants FFI.

Face à un ennemi supérieurement armé, les insurgés parisiens ont pris tous les risques. Mais ils ne se sont pas battus seuls. Les Alliés modifient leurs plans de campagne pour secourir Paris au plus vite. Le 23 août, LECLERC est à Rambouillet. Le 24, il parvient aux portes de la capitale où l’accueille le Délégué militaire national du Gouvernement provisoire, le tout jeune général de brigade Jacques CHABAN-DELMAS.

Le 25 août, les troupes de la 2ème DB entrent dans Paris. Après de rudes combats, le général Von CHOLTITZ signe ici même, à la Préfecture de Police, l’acte de capitulation des troupes allemandes, qu’il remet à LECLERC, ROL-TANGUY et Maurice KRIEGEL-VALRIMONT, qui est alors l’un des trois chefs du Comité d’action militaire créé par le Conseil national de la Résistance (CNR).

Au soir du 25 août, Paris est enfin libéré, après quatre longues années d’occupation. Quatre années durant lesquelles les Parisiens ont enduré la présence d’une armée étrangère et les cruelles servitudes qu’une telle situation implique. Quatre années qui ont vu la barbarie nazie se déchaîner à Paris comme sur l’ensemble du territoire national et, plus largement, dans l’Europe entière. Nous pensons bien sûr aux victimes des rafles, aux juifs, aux résistants, aux otages et à toutes celles et ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont été arrêtés, torturés, déportés, assassinés par les nazis. Le 25 août 1944, l’oppression prenait fin à Paris, prélude symbolique à la Libération du pays.

Ces événements appartiendraient-ils désormais à la seule histoire ? Comme je l’ai dit, je ne le crois pas. Et c’est à nous qu’il revient de faire en sorte qu’en 2016, non seulement cette histoire ne cesse de se confondre avec la mémoire vivante de la France, mais que de surcroît elle continue de nous inspirer pour nos combats présents et nos décisions à venir, pour la défense de valeurs toujours neuves et sans cesse menacées, je veux parler des valeurs de la République, je veux parler de nos principes fondateurs, de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, notre colonne vertébrale et notre seule identité véritablement partagée.

Et c’est précisément en raison des valeurs qu’elle incarne et du message qu’elle porte depuis plus de deux siècles que la France demeure une cible aux yeux des idéologues totalitaires et des prêcheurs de haine de toute nature. Hier, nous affrontions le nazisme ; aujourd’hui, la menace emprunte une nouvelle forme, celle du terrorisme djihadiste.

Certes, l’histoire n’est pas un éternel retour, et nos ennemis d’aujourd’hui ne sont point ceux d’hier. Néanmoins, force est de constater que, par-delà les circonstances et les singularités historiques, ils possèdent en commun un certain nombre de traits, comme une signature du mal : l’antisémitisme féroce, l’ambition d’un contrôle totalitaire de la société, l’embrigadement mortifère des esprits, la négation de toute altérité, enfin, comme je le disais, la haine des principes universels que nous avons hérités de la Révolution.

La paix et la liberté que nos pères ont chèrement reconquises en 1944, au prix du sang versé, nous les tenons aujourd’hui pour définitivement acquises. Et pourtant, les soubresauts du monde qui nous entoure doivent sans cesse nous conduire à nous battre pour les faire triompher.

Voilà pourquoi la cérémonie du souvenir qui nous rassemble aujourd’hui prend, cette année encore, pour l’ensemble des femmes et des hommes de la Préfecture de Police comme pour chacun d’entre nous ici présents, une résonance toute particulière.

Car c’est dans cette cour que, le 13 janvier 2015, nous avons honoré la mémoire des trois policiers tombés en service face à la barbarie terroriste, lors des attentats de « Charlie Hebdo » et de Montrouge : Franck BRINSOLARO, Ahmed MERABET et Clarissa JEAN-PHILIPPE.

C’est aussi dans cette même cour que le Président de la République a rendu hommage, en janvier dernier, aux femmes et aux hommes qui composent les forces de l’ordre et qui, depuis de longs mois, se tiennent en première ligne, souvent au péril de leur vie, pour protéger les Français contre la menace terroriste.

Enfin, c’est ici que nous avons célébré le courage et l’abnégation des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers de la BSPP qui, en janvier comme en novembre 2015, confrontés à une horreur sans nom, n’en ont pas moins réagi avec une rigueur et un professionnalisme exceptionnels qui forcent l’admiration des Français. Ils sont les dignes héritiers des policiers insurgés d’août 1944.

Depuis, il y a eu le commissaire Jean-Baptiste SALVAING et sa compagne Jessica SCHNEIDER, elle aussi fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, tous deux sauvagement assassinés à leur domicile de Magnanville, le 13 juin dernier, par un terroriste se réclamant de DAESH. Ce dernier les avait pris pour cible au simple motif qu’ils étaient des serviteurs de la République.

Puis, il y a eu l’horreur à Nice, 86 morts, le jour de la Fête nationale. Et, quelques jours après, l’assassinat abject du père Jacques HAMEL en son église de Saint-Étienne-du-Rouvray, alors qu’il était en train de célébrer la messe quotidienne.

C’est une lutte de longue haleine que la France mène contre le djihadisme et qu’elle va continuer de mener sans relâche dans les mois et sans doute dans les années qui viennent. Et, face à une telle menace, nous avons besoin, comme en 1944, de l’engagement de la Nation tout entière.

Aujourd’hui, la mobilisation de l’État et des forces de sécurité est maximale. Ce combat, nous le conduisons loin des caméras, avec discrétion et opiniâtreté, au moyen des renforts humains, technologiques et juridiques que nous avons mis en œuvre depuis 2012. Jour après jour, nous interpellons des individus liés à des activités terroristes, nous démantelons des filières djihadistes. Et nous allons continuer jusqu’à ce que la menace soit éradiquée. Ainsi, depuis le début du mois d’août, comme je l’ai annoncé lundi, pas moins de sept individus en lien avec des réseaux terroristes ont été arrêtés, parmi lesquels trois étaient impliqués dans des projets d’action d’ores et déjà constitués. Notre vigilance est donc totale, et notre détermination, absolue.

Mais, contre la menace, nous n’avons pas seulement besoin des forces de l’ordre. Nous avons aussi besoin, comme je l’ai dit, de la mobilisation de l’ensemble des Français. Nous avons besoin de toutes les volontés, de toutes les énergies et de toutes les compétences. Car notre force repose sur notre cohésion et sur notre unité, celles-là même que la Nation a été capable de manifester dans les pires heures de son histoire.

Aujourd’hui, le temps est venu, pour chacun d’entre nous, de se poser la question : « Qu’est-ce que je peux faire pour mon pays ? » Car nous sommes tous, à des titres divers, les garants de la République. Aucun volontaire, jamais, ne sera de trop pour défendre les valeurs de la République, si chères au cœur de tous les Français.

C’est la raison pour laquelle j’ai moi-même lancé, dès le 16 juillet dernier, un appel à nos concitoyens afin qu’ils rejoignent, dès lors qu’ils le peuvent et le souhaitent, les rangs de la réserve opérationnelle de la Gendarmerie et de la Police. Avec le Président de la République et le Premier Ministre, nous avons pris la décision de faire monter cette réserve en puissance et de renforcer immédiatement son déploiement sur l’ensemble du territoire national. C’est là une réponse forte à l’appel du pays pour contribuer à sa défense et organiser sa résilience.

Comme l’a souhaité le Président, l’ensemble des effectifs réservistes va constituer une Garde nationale, laquelle aura pour mission d’épauler et de soutenir les forces de l’ordre. Les contours de cette future Garde nationale, à laquelle contribueront les réservistes des Armées, seront très bientôt fixés. Mais, d’ores et déjà, je peux vous annoncer que les réserves de la Gendarmerie et de la Police représenteront la moitié de ses effectifs, ce qui, pour nous tous, représente une très grande fierté. Une fois encore, le ministère de l’Intérieur assumera pleinement ses responsabilités.

Dans les temps difficiles que nous connaissons, toutes les formes d’engagement citoyen sont nécessaires. Chaque Français, selon ses disponibilités et ses compétences, peut contribuer à l’effort collectif. Il y a les réserves opérationnelles, bien sûr, mais il y a aussi les unités de sapeurs-pompiers volontaires, les associations de protection et de sécurité civiles, le Service civique et les formations aux premiers secours. Soyez certains que le ministère de l’Intérieur continuera, dans les semaines et les mois à venir, à renforcer ces dispositifs particulièrement utiles.

*

Au cours de ces derniers mois, nombreux sont nos compatriotes qui, ébranlés par les tragiques événements que nous avons affrontés ensemble, se sont sentis animés d’un sens civique parfois oublié, assoupi ou bien refoulé. En s’en prenant à eux, les terroristes leur ont, tout simplement, « rendu la France », comme l’écrivait ARAGON sous l’Occupation. Car le refus farouche de la barbarie obscurantiste et de la violence terroriste est au cœur de l’identité profonde de notre pays. Et c’est à juste titre que le Président de la République a évoqué « l’esprit de résistance » qui doit tous nous animer aujourd’hui comme il animait, le 19 août 1944, les héros de la Préfecture de Police.

Jadis, quand cela a été nécessaire, les Résistants ont su dire « Non » : non à l’oppression, non à l’abaissement de la patrie, non à la barbarie totalitaire. Ce glorieux exemple, il n’a jamais été aussi urgent de le méditer. Car le passé constitue une source d’inspiration pour le présent et un avertissement pour l’avenir.

Le 26 août 1944, dans Paris enfin libéré, le général DE GAULLE descendait les Champs-Élysées jusqu’à la cathédrale Notre-Dame, entouré de la foule en liesse des Parisiens. Le 11 janvier 2015, le peuple français, par millions, foulait à nouveau le pavé de la capitale pour clamer son attachement farouche aux valeurs de la République. Entre ces deux événements, entre ces deux dates, c’est le même patriotisme, le même refus de la résignation, le même goût de la liberté. C’est notre fierté, c’est notre histoire, et c’est notre force.

Vive la République !
Et vive la France !