71ème anniversaire du soulèvement de la Préfecture de Police

71ème anniversaire du soulèvement de la Préfecture de Police : Crédit Préfecture de Police
19 août 2015

Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur à l’occasion du 71ème anniversaire du soulèvement de la Préfecture de Police - Paris, Préfecture de Police, 19 août 2015


Monsieur le Préfet de Police,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame la Maire de Paris, chère Anne Hidalgo,
Mesdames et Messieurs les maires d’arrondissement,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,

Cette année encore, nous voici rassemblés pour honorer la mémoire des 167 policiers tombés, entre le 19 et le 25 août 1944, lors des combats qui marquèrent la Libération de Paris.
Cette année encore, nous sommes réunis pour évoquer une page glorieuse de l’histoire de notre pays, écrite par les résistants de la préfecture de police, aux côtés de leurs camarades FFI, aux côtés du peuple de Paris insurgé, aux côtés des soldats de la France combattante et des armées alliées venus hâter cette délivrance.

A la faveur d’un cycle mémoriel exceptionnel, ouvert l’an dernier avec la commémoration du 70èmeanniversaire du Débarquement, nous avons pu célébrer la mémoire d’autres héros ; je pense à ceux qui se sacrifièrent sur les plages de Normandie ou sur le plateau des Glières. Nous avons aussi célébré de grands moments de liesse, comme les libérations de Bayeux ou de Strasbourg et perpétué le souvenir des victimes de la barbarie nazie.

Mais cette cérémonie du souvenir prend cette année, pour les hommes et les femmes de la Préfecture de Police, comme pour moi-même, une résonance particulière : c’est que dans cette cour qui porte encore sur ses murs les traces de la Libération, nous nous retrouvâmes le 13 janvier dernier pour honorer la mémoire d’autres morts tombés sous le feu de terroristes, animés par le seul instinct de la haine. Dans des circonstances certes différentes, correspondant elles aussi à des pages singulières de notre histoire la plus contemporaine, nous avons voulu par notre recueillement exprimer notre gratitude, notre reconnaissance à l’égard de policiers morts parce qu’ils incarnaient l’ordre et les valeurs de la République.

Mais nous sommes là aujourd’hui, comme chaque année, pour évoquer les heures glorieuses de la libération, qui rendirent Paris à elle-même il y a soixante-et-onze ans.
« Il y a là des minutes, nous le sentons tous, dira le général de GAULLE, qui dépassent chacune de nos pauvres vies. »

C’est pourquoi le récit de ces journées décisives mérite d’être rappelé, encore et encore.

Il commence dès le 15 août 1944, alors que le peuple parisien guette les nouvelles du front de Normandie et apprend le débarquement de Provence. A l’appel des mouvements de résistance qui forment le comité de libération de la police parisienne – Honneur de la Police, Police et Patrie, le Front national de la Police - les policiers se mettent en grève, tout comme les cheminots et les postiers. Chacun sent que la situation est insurrectionnelle. Pourtant, ne l’oublions pas, l’armée allemande contrôle encore la totalité de la capitale. Ce jour-là, le dernier convoi de déportés quittera Pantin pour les camps de la mort, emportant dans ses wagons 2453 prisonniers voués au martyre.

Au terme de cinq jours de grève patriotique, au matin du 19 août, 2000 gardiens de la paix se retrouvent, à l’appel de la résistance, en civil sur le parvis de Notre-Dame et s’emparent de la préfecture de police. « Dans la Cité, berceau de la ville, entre Notre-Dame et le Palais de Saint-Louis, commente le résistant Pierre BOST, la Préfecture de Police est le premier bastion de la résistance. Derrière ses hautes murailles se sont retranchés les hommes en uniforme bleu, qui en avaient assez de saluer des hommes en uniforme vert. » La Marseillaise résonne dans cette cour ; pour la première fois depuis juin 1940, le drapeau tricolore est hissé à Paris sur un bâtiment public.

A l’appel du colonel ROL-TANGUY, chef régional des FFI, la résistance parisienne s’organise ensuite autour de la Préfecture de Police, érigée en bastion stratégiquement situé au cœur de la capitale. L’Etat renaît et le nouveau préfet de police s’installe dans ces murs. L’Hôtel de Ville, les mairies d’arrondissement, sont bientôt occupés à leur tour. La place Beauvau également, où s’installe le secrétaire général provisoire du ministère de l’Intérieur, en attendant l’arrivée du nouveau ministre, Emmanuel d’ASTIER DE LA VIGERIE. Son chef de cabinet, Jean DONNEDIEU DE VABRES, racontera plus tard : « Nous avons poussé notre exploration jusqu’à la rue des Saussaies… et nous avons découvert les restes de la Gestapo, qui venait de partir, avec les instruments de torture, qui étaient encore là, les baignoires de sinistre mémoire. »

Mais la bataille de Paris ne fait que commencer et elle sera durement livrée, faisant plus de 500 victimes civiles et près de 1000 morts parmi les combattants FFI. Parmi eux, comme je l’ai rappelé, 167 policiers parisiens sont tombés victimes du devoir : fusillés par l’ennemi lorsqu’une patrouille les arrête et découvre leur qualité de policiers ; ou bien abattus dans la rue, faisant le coup de feu aux côtés des parisiens sur l’une des 600 barricades érigées pour gêner la manœuvre des troupes allemandes …

Affrontant un ennemi supérieurement armé et entraîné, les insurgés parisiens ont pris des risques immenses ; mais ils ne seront pas abandonnés à leur sort, comme l’avaient été quelques semaines plus tôt les combattants de Varsovie. Les Alliés modifient leurs plans de campagne pour secourir Paris au plus vite. Le 23 août, LECLERC est à Rambouillet. Le 24, il fait larguer par avion au-dessus de la ville ce message d’espoir : « Le général LECLERC me charge de vous dire : tenez bon, nous arrivons. »

Enfin, le 25 août, les troupes de la 2èmeDB entrent dans Paris. Au terme de nouveaux et rudes combats, Von CHOLTITZ signe ici même, à la Préfecture de Police, l’acte de capitulation des troupes allemandes, qu’il remet à LECLERC et à ROL-TANGUY représentant la résistance intérieure. Paris est libéré ! Libéré par son peuple et par les armées de la France, comme le dira de façon fameuse le général de GAULLE au balcon de l’Hôtel de Ville. Libéré avec le concours décisif de sa police.
C’était il y a soixante-et-onze ans. L’espace d’une vie d’homme.
Nous pourrions dire : il y a bien longtemps.

Pourtant, nous devons faire en sorte que le souvenir de ces hommes, et de ce qu’ils ont accompli au cours de cette semaine héroïque, ne soit pas réduit à la mémoire froide du récit historique.
Nous devons faire en sorte que ce souvenir demeure pour nous à la fois un exemple et une leçon.

Un exemple pour chaque policier. Exemple de bravoure, d’abnégation, de patriotisme, de sens du devoir, du refus de la résignation. Au matin du 19 août, les policiers parisiens ont dit « non » : non à l’oppression, non à la patrie abaissée, non à la barbarie.
Or comme l’a dit André MALRAUX en parlant des résistants des Glières : « Le mot « Non », fermement opposé à la force, possède une puissance mystérieuse qui vient du fond des siècles. Toutes les plus hautes figures spirituelles de l’Humanité ont dit Non à César. Prométhée règne sur la tragédie et sur notre mémoire pour avoir dit Non aux Dieux. La Résistance n’échappait à l’éparpillement qu’en gravitant autour du Non du 18 Juin. (…) L’esclave dit toujours oui. »

La police en tant qu’institution connaît également d’autres valeurs qui sont essentielles à son bon fonctionnement. L’esprit de corps, la discipline, l’obéissance scrupuleuse aux ordres donnés. De telles vertus ne sont toutefois utiles qu’à la condition de savoir aussi refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal, de savoir dire Non lorsque les valeurs de la République sont en cause. Au cours des années noires, nous devons l’admettre, certains policiers se sont fourvoyés en prêtant leur concours aux projets criminels de l’occupant. Mais beaucoup d’autres, au grand jour au cours de cette semaine glorieuse, ou auparavant en secret, dans la nuit de l’occupation, ont payé le prix fort pour sauver l’honneur de la police.

C’est pourquoi le souvenir de ces journées d’août 1944 est également porteur d’une leçon. Leçon toujours d’actualité, pour nous tous. Leçon selon laquelle la police ne vaut qu’en raison de l’ordre républicain qu’elle défend et des valeurs dont elle assure le respect.
Au titre de cette leçon capitale, la police républicaine est la police du peuple, qu’elle a la responsabilité et le devoir de défendre. Ce lien entre la population parisienne et sa police s’est affirmé de façon éclatante au cours des heures glorieuses de la Libération de Paris. Dès le 26 août, le préfet Claude LUIZET, nommé par le Général DE GAULLE, pouvait ainsi faire proclamer par voie d’affiche : « Des liens indissolubles unissent désormais le peuple de Paris et la Police parisienne. L’ordre républicain reconquis les armes à la main doit régner dans Paris délivré de l’ennemi et de la dictature. »
Je sais que vous aurez toujours à cœur de préserver ce lien de confiance et de respect.
Soixante-et-onze ans nous séparent de cette semaine glorieuse.
Et puis, il y a huit mois, le 13 janvier 2015, nous nous sommes réunis dans cette même cour, autour du Président de la République, pour honorer la mémoire d’autres policiers tombés au service de la patrie.

  •     Le Brigadier Clarissa JEAN-PHILIPPE.
  •     Le Lieutenant Ahmed MERABET.
  •     Le Lieutenant Franck BRINSOLARO.

Trois policiers dont le Président de la République a souligné ce jour-là, en les faisant à titre posthume chevaliers dans l’ordre de la Légion d’Honneur, qu’ils représentaient « la diversité des origines, des parcours, des missions, des forces de sécurité dans notre pays. » Trois policiers qui illustraient, à l’image de leurs 167 collègues tombés en août 1945, « ce qu’est le professionnalisme, ce qu’est le dévouement, ce qu’est l’attachement aux valeurs qui fondent notre République. »

Eux aussi sont tombés pour que nous puissions vivre libres.
Eux aussi ont fait le sacrifice de leurs vies.

Eux aussi ont été les victimes d’une idéologie de haine : haine de la liberté d’expression, qu’incarnaient si bien les journalistes de « Charlie Hebdo » ; haine des juifs, frappés à mort pour le seul fait d’être juifs, ou supposés tels, dans le magasin « hypercacher » de la porte de Vincennes ; haine de la République et de ceux et celles qui l’incarnent, comme vous tous, parce qu’ils portent l’uniforme, font respecter ses lois et défendent ses valeurs.

Le peuple français ne s’y est pas trompé lorsqu’il est descendu, par millions, dans les rues de toutes les villes de France, les 10 et 11 janvier, pour dire son attachement aux valeurs de la République, pour afficher sa solidarité avec les victimes des terroristes et pour exprimer sa gratitude aux forces de sécurité.
Comme aux heures glorieuses de la Libération de Paris, le peuple français et sa police se sont ainsi trouvés côte à côte, animés par un même idéal, par une même volonté de défendre les valeurs de la République.
Notre pays s’est en trouvé, aujourd’hui comme hier, renforcé face aux épreuves.

La paix des Nations n’est pas, comme on avait pu l’espérer au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une assurance. L’Europe, depuis lors, a connu et connaît d’autres conflits, non loin de nos frontières. La fin de la guerre froide n’a pas fait disparaître les tensions. Les menaces se diversifient qu’il s’agisse du terrorisme obscurantiste ou des conséquences de conflits éloignés qui jettent dans l’errance des centaines de milliers de malheureux. Face à de tels risques, aujourd’hui comme hier, la France doit faire le choix de l’unité, du rassemblement, de la coopération avec ses alliés, de l’attachement scrupuleux à ses valeurs.
C’est ainsi que nous serons fidèles à l’exemple que nous ont laissé les 167 policiers tombés pour la Libération de Paris voici soixante-et-onze ans.
Ne l’oublions jamais.
Vive la République !
Vive la France !