Présent 24h/24, au contact de chacun, à l’affût, à l’écoute, à la recherche de solutions… le « brigadier » est ce personnage indispensable à la bonne vie d’une commune.
À la fois ange gardien, garant de l’ordre public et médiateur, la population ne peut s’en passer. Et l’institution non plus : sans brigades territoriales, pas de gendarmerie. Souvent primo-engagés, les gendarmes des brigades territoriales, comme les sapeurs-pompiers, les urgences ou la police secours, sont confrontés à toutes les situations : accident de la route, bagarre, vol, découverte de cadavre, différend familial … Des constatations à l’accomplissement d’enquêtes, le maître mot des brigadiers est la polyvalence. Immersion à la brigade territoriale autonome (BTA) de Dardilly, dans la banlieue lyonnaise.
Reportage : Floriane Boillot
Photos : Aurore Lejeune
Au sud-ouest de Lyon, à Dardilly et ses environs, règne une certaine douceur de vivre et quelques quartiers sont plutôt huppés. Le nombre élevé d’entreprises attire en journée une population active et la délinquance est qualifiée « d’importation ». La BTA de Dardilly couvre un secteur d’environ 22 000 habitants, composé de quatre communes : Dardilly, La Tour de Salvagny, Dommartin et Marcy-l’Étoile. 25 militaires dont six femmes forment la BTA, et se partagent des locaux avec le peloton d’intervention et de surveillance de la gendarmerie (PSIG) et la brigade motorisée (BMO).
Une équipe jour et une équipe nuit couvrent le cadran, enchaînant patrouilles et travail de bureau. La patrouille est la base du métier et le meilleur moyen de recueillir des renseignements que les gendarmes feront remonter aux unités spécialisées. Jean-Philippe est maréchal des logis-chef, depuis six ans à la BTA de Dardilly : « En patrouille, je suis attentif à tout. Même quand je suis en repos d’ailleurs. La manière qu’a un individu de nous regarder, ou son comportement, sont des points qui vont attirer mon attention ». Et sur la route, sa vigilance se fait sentir sans tarder ! « Cette voiture, elle a tourné à gauche. Ce n’était pas logique comme cheminement ». Au passage devant un commerce du centre-ville, Jean-Philippe observe les consommateurs attablés. Les gens le connaissent et l’apprécient, dans l’ensemble. « Il y a certaines personnes que l’on dérange, ils ont leur petit trafic et ça ne leur plaît pas qu’on mette le nez dedans, mais c’est le jeu ! En même temps, on a la chance de ne pas être dans une cité où l’on risque de se prendre des cailloux », raconte-t-il tout en se focalisant sur un petit escalier au coin d’un lotissement – « cet endroit permet de partir discrètement après un cambriolage ! » Jean-Philippe va saluer Damien, un jeune natif de Dardilly : « Ce n’est pas un mauvais gars, je le connais, je l’ai vu évoluer ». Un peu plus loin, la patrouille approche un camp de gens du voyage, « nous avons également de bons contacts, souligne Jean-Philippe, et ils peuvent être de précieux agents de renseignements ».
Pour Régis, maréchal des logis-chef, la recherche de renseignements a toujours été la priorité des brigades de terrain : « il ne faut pas hésiter à aller au contact de la population, parler de tout, de la pluie et du beau temps, créer le contexte. » Contexte qu’il suscite notamment par son rôle de correspondant sûreté et correspondant intelligence économique, qui l’amène à rencontrer régulièrement les gérants de société pour leur prodiguer des conseils de sécurité. C’est pour ce relationnel et cette diversité que Régis, titulaire d’un bac + 5 et ingénieur en industrie, a tout quitté il y a 11 ans pour entrer en gendarmerie départementale. Et sans regret, « content de me lever le matin ! », même face à des individus remontés contre les forces de l’ordre : « les délinquants par exemple, explique Régis, ils ne nous aiment pas, ils grandissent sans nous aimer et ne nous aimeront jamais. Jusqu’au jour où ils sont victimes de quelque chose… »
Être sans cesse au contact expose cependant à toutes sortes de situations. Le lieutenant Rodolphe W., commandant la BTA de Dardilly, raconte : « Il y a peu, un homme en manque de stupéfiant tape sur les voitures au milieu de la chaussée. J’interviens pour le mettre au sol, les passants me regardent et me filment avec leurs téléphones portables, « pour éviter les bavures policières », disent-ils… » Le prix à payer pour leur implication au service des citoyens.
Chaque jour, des réservistes arment les effectifs de la BTA de Dardilly. Olivier travaille au service d’intervention des TCL (transports communs lyonnais), et est parallèlement réserviste de la Gendarmerie nationale depuis 10 ans, dont 4 ans en gendarmerie mobile. Un site internet spécifique au groupement du Rhône, inédit en France et reconnu pour son efficacité (il servira de support pour faire évoluer l’outil national standard), permet aux brigades territoriales d’indiquer leur besoin en effectifs, et aux réservistes de se positionner en fonction de leurs disponibilités. Ainsi, à la BTA de Dardilly, Olivier patrouille avec les PAM (premiers à marcher), ou en patrouille autonome de réservistes, toujours en doublon avec une patrouille de PAM. Il témoigne : « Je fais cela par conviction, pour apporter ma pierre à l’édifice et renforcer au mieux les brigades. Je pense que la première arme du gendarme, c’est la communication, trouver les mots justes. Certaines situations peuvent être gérées de cette façon. Il est aussi important de se montrer, de sécuriser. Le préventif fait baisser les incivilités et une partie de la population a besoin d‘être encadrée. Nous devons mener chaque mission au mieux, parfois ce n’est pas du tout évident, comme sur un accident de la route avec des enfants impliqués. Mais plus on tourne avec des gendarmes d’active plus on est forgé, et pendant nos missions, nous sommes autant militaires que le gendarme d’active .»
Le haut-parleur du Tepee résonne : « La Golf, mettez-vous à droite ! » Pas de patrouille sans contrôles inopinés ! Les gendarmes demandent au conducteur d’ouvrir le coffre et les sacs qui s’y trouvent. Depuis l’état d’urgence, ils agissent sur réquisition du procureur de la République pour contrôler les documents d’identité et vérifier les véhicules. « On pensait trouver des produits stupéfiants », avoue Jean-Philippe. Le jeune homme s’étonne d’ailleurs d’être fréquemment arrêté. « Les grosses opérations partent souvent d’un simple contrôle, explique le gendarme, avant que les unités spécialisées, les brigades de recherches dans un premier temps, ne reprennent l’affaire et amènent leur savoir-faire. »
Nouvel assistant du gendarme, qui a rapidement su se rendre indispensable, la tablette Neogend s’avère être un outil très apprécié des gendarmes lors des contrôles. Elle leur permet de scanner sur place la pièce d’identité et en vérifier l’authenticité. Grâce au réseau wifi ou 3G, les gendarmes peuvent interroger les différents fichiers tels que celui des personnes recherchées, véhicules volés ou permis de conduire. Ils sont également en mesure d’enregistrer des plaintes ou de dresser des procès- verbaux électroniques directement depuis le terrain. Aussi bien répressifs que préventifs, les gendarmes savent faire preuve d’indulgence quand la situation s’y prête, « je préfère réprimander des infractions génératrices d’accidents que quelqu’un qui ne peut pas me présenter sa pièce d’identité, mais qui me donne son nom réel », assure l’officier de police judiciaire Pierrick.
Certaines interventions revêtent un aspect uniquement social face à des situations qui ne relèvent pas du pénal. Les brigadiers doivent alors puiser dans leur expérience personnelle et leur bon sens pour tenter de dénouer les situations. « Les gens appellent les gendarmes, car ils ne savent pas qui appeler, quand ils sont en situation de désarroi, quand ça ne va pas dans leur couple, parfois même quand ils n’arrivent pas à éduquer leurs enfants, témoigne Pierrick. Tant qu’il n’y a pas de violence physique exercée, c’est un rôle de médiateur que nous jouons. Je les écoute, je les aiguille vers des services sociaux adaptés. Dans 90% des cas, les gens sont satisfaits de notre venue, car ils nous ont parlé, ils ont un poids qui s’est libéré. » Au bout de 15 ans en brigade territoriale, Pierrick admet que leur objectif n’est pas de faire du social, et pourtant, « apporter quelque chose de positif à leur inquiétude, leur doute ou leur mal-être, c’est utile. Et puis, nous devons être à l’écoute des gens, nous sommes un service public ».
14h, les gendarmes de Dardilly sont appelés pour un différend de voisinage. Jean-Philippe et la gendarme adjointe volontaire Coralie endossent leur casquette « sociale » pour aller écouter les réprimandes d’un couple et de leur jeune voisin. Face à l’histoire de chien qui jappe, de frère qui dérange et de noms d’oiseaux, Jean-Philippe tente un « avez-vous essayé de passer par la médiation de la mairie ? », sans succès. Patiemment, les gendarmes recueillent les deux versions évoquées, puis Jean-Philippe abat sa carte de la diplomatie. Il propose avec l’accord de chacun un temps de médiation, en terrain neutre, sur le petit chemin reliant les deux maisons, et se fait ainsi voix de la sagesse : « Il va falloir que vous soyez adultes. Trouvez des solutions pour le chien. Votre problème, c’est la peur de l’autre. Vous ne vous connaissez pas donc vous avez peur. Résultat, il n’y a plus de respect. Comment voulez-vous vivre en bon terme sans respect ? Ignorez-vous, mais respectez-vous. Vos plaintes seront à chaque fois classées sans suite. Je ne veux plus intervenir pour des histoires comme ça. »
Chose faite, Jean-Philippe aperçoit un grand plan de cannabis dans son pot, ornant la terrasse du ménage. Le ton change immédiatement. « Vous vous moquez de moi ? Dites-moi tout de suite où est le reste ! » La médiation sociale vire à la perquisition du domicile, sous les yeux faussement naïfs du couple : « c’est quoi ce petit arbuste ? » Coralie et Jean-Philippe retrouvent de l’argent en liquide, des téléphones et des ustensiles de découpe. La famille sera convoquée en fin de journée à la brigade. Le comble pour des résidents ayant appelé eux-mêmes les gendarmes…
Le plan de lutte contre les cambriolages est une volonté du commandant de groupement. En effet en 2015, 84 cambriolages de résidences principales ont été commis sur les quatre communes du secteur, et déjà 90 depuis début 2016. En complément des patrouilles quotidiennes, des opérations coordonnées de contrôles anti-cambriolages sont programmées à des moments clés. « Nous ciblons les contrôles, nous sommes attentifs aux camionnettes, on peut y retrouver des outils, des gants. Nous savons également que certains auteurs proviennent des pays de l’Est », assure Jean-Philippe. Montrer la force pour éviter de s’en servir est le credo du gendarme départemental.
La prévention contre les cambriolages passe aussi par le dispositif « participation citoyenne ». Plusieurs habitants se regroupent et s’accordent à être plus vigilants sur les allées et venues ou les difficultés rencontrées dans leur quartier. Sarah, officier de police judiciaire à la BTA de Dardilly , est référente pour le dispositif « participation citoyenne ». Elle organise des réunions régulières avec les adhérents afin de faire le point : « Dès qu’ils voient quelque chose qui leur paraît suspect, même si c’est anodin, ils me contactent, et je peux envoyer une patrouille sur les lieux pour effectuer des vérifications. Nous essayons de fidéliser d’autres quartiers dans ce dispositif.» Les statistiques prouvent que ce système a de quoi dissuader les cambrioleurs, puisqu’en 2015 seulement deux cambriolages ont eu lieu dans le secteur concerné.
Cet après-midi, Sylvain, maréchal des logis-chef, reçoit un jeune homme de 24 ans, yeux clairs et cheveux gominés, mis en cause pour vol dans une agence bancaire d’un centre commercial. L’audition se déroule en trois parties : les antécédents de la personne, sa vie actuelle _pour essayer de comprendre les infractions commises_, puis les faits reprochés. Sylvain débute par le traditionnel : « Vous pouvez faire des déclarations ou garder le silence. À la suite de notre entrevue, vous pouvez bénéficier de conseils juridiques auprès des Maisons de Justice et du Droit. » L’homme est entendu suite au dépôt de plainte de deux gérants, ayant déposé des espèces au Crédit Agricole, qui ont été dérobées. Il a été désigné comme l’auteur des faits, les images de vidéo protection ne laissant pas de doute sur son identité. « C’est un système de bascule avec un tiroir, se justifie-t-il, si l’on n’actionne pas le tiroir, l’argent ne part pas dans la trappe. Je suis arrivé deux fois par hasard et j’ai récupéré l’argent. C’était un peu comme une opportunité pour moi ». À la fin de l’audition, Sylvain appellera le magistrat pour obtenir la décision pénale à notifier, les modalités de remboursement du préjudice et l’amende encourue. Il remplit également la fiche de signalement de l’auditionné : description physique, photo standardisée, prise d’empreinte digitale et palmaire et prélèvements ADN. Les prélèvements sont transmis au FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques) à Rosny-sous-Bois, qui envoie en retour un « rapport de rapprochement positif » grâce aux comparaisons effectuées avec la base de données.
Les attentats de 2015 et 2016 ont modifié les missions des forces de l’ordre, les obligeant à plus de présence, de vigilance, mais aussi une capacité d’intervention plus rapide et plus adaptée au risque d’attaque terroriste. Et les brigades territoriales, loin d’être épargnées, sont même en première ligne : si en cas d’attaque, leur rôle était de figer la scène, voire immobiliser la personne en attendant les renforts, les gendarmes doivent dorénavant stopper le terroriste au plus vite pour éviter les tueries de masse. « Nous avons fait des exercices d’intervention professionnelle, et un exercice dans une école, raconte l’un d’eux. Les séances de tirs suivent également une approche différente, et nous patrouillons plus souvent avec nos fusils mitrailleurs. On pense à tort qu’ici ça ne pourra pas arriver et pourtant nous avons un centre commercial, des établissements scolaires et religieux… On se demande, est-ce que l’on sera prêt ? »
« Tout devient prioritaire, et nos missions à côté n’ont pas diminué », souligne le lieutenant, commandant la BTA. En effet, les transfèrements de détenus, par exemple, mobilisent à Dardilly cinq gendarmes par semaine pour un aller-retour à Lyon. Les 11 heures de repos journaliers mis en place par une instruction provisoire en date du 8 juin 2016 ne sont pas systématiquement applicables pour assurer le travail demandé. « Malgré la fatigue générale, continue le lieutenant W., je dois manager, créer une dynamique ! Nous répondons présents, car les gens comptent sur nous ! » Philippe, adjudant-chef et 30 ans de service reconnaît que s’ils sont toujours motivés, ils se sentent néanmoins à « flux tendu » et attendent plus de reconnaissances et des directives précises ; avant de terminer sur ce qui prouve l’essence même de leur investissement personnel : « il y a des problèmes, mais on le savait, on a fait un choix de carrière, et ce métier, on l’aime. »
Une dose de passion transparaît dans les choix de chacun pour travailler en BTA. « J’ai choisi la subdivision départementale, car j’ai toujours voulu faire du judiciaire, affirme Pierrick. Je conseillerais cependant aux jeunes gendarmes de passer par la gendarmerie mobile. Cela permet d’apprendre la cohésion et le travail de groupe, indispensable dans notre travail ». Sarah, quant à elle, est à Dardilly pour une première affectation : « Je pense que c’est en brigade que l’on apprend le mieux. Ce qui me plaît, c’est que le matin on ne sait pas de quoi la journée sera faite. »
22h45 lundi soir, sur un rond-point de Dardilly, les gendarmes contrôlent deux jeunes hommes en voiture. Ils découvrent rapidement 600 € dans la boîte à gants et 50 grammes de cannabis en petits sachets dans la portière. Les dealers sont arrêtés pour détention et transport de produits stupéfiants ; les droits de voir un médecin, un avocat ou la famille leur sont notifiés, et ils sont emmenés à la brigade. Les gendarmes confectionnent des scellés de chaque pièce à conviction et les gardés à vue, préalablement fouillés, passent la nuit chacun dans une cellule. Une odeur d’herbe règne dans les locaux de la BTA où les gendarmes s’affairent à rédiger les procédures avant de repartir en patrouille nocturne. Le lendemain matin, les jeunes hommes sont auditionnés, et l’unité cynophile de Givors se déplace afin de faire passer un chien dans le véhicule des incriminés. À la vue du chien "stup-défense", l’un des gardés à vue effectue un mouvement de recul : « je déteste les chiens, j’ai peur », avant de murmurer « c’est efficace ces trucs-là …». Aucun produit stupéfiant supplémentaire ne sera découvert dans la voiture.
De retour en cellule, l’un des jeunes hommes, se sentant sûrement en confiance, annonce à son complice à travers la paroi et en langage qu’il croyait « codé », que de l’herbe est cachée dans son caleçon. L’aveu n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, puisque le gendarme chargé de les surveiller ordonne immédiatement une nouvelle fouille, cette fois un peu plus poussée… et retrouve quatre sachets de stupéfiants. La peur du chien était donc motivée ! « Ces dealers vont perdre le produit, l’argent et le téléphone, explique Florent, officier de police judiciaire depuis peu. Mais, quelle que soit la décision du magistrat, ils risquent de recommencer, ce sont des habitués. Un jeune qui se serait fait prendre pour la première fois, il aurait tout avoué ce matin ! Ils sont corrects avec nous, alors on est sympas, ils ne nous disent pas tout non plus, mais…c’est la règle ! »